Christian Plume, La truite et moi
Christian Plume, La truite et moi, Coll. « PSCHITT », Ed. Pierre Horay, 1958
Ce fut le dernier livre de 2017 et le premier de cette nouvelle année. Vous l'aurez compris, entre quelques coupes de champagne, j'ai aussi passé le nouvel an en sa compagnie et j'ai bien apprécié. Cette année 2018 commence donc sous les meilleurs auspices et comme l'a dit l'un de mes amis, je sens que cette année nos amis les poissons vont avoir mal aux dents. J'ai bien aimé cette pulsion optimiste, cette allégresse qui naît du jeûne que nous impose la fermeture de la pêche mariée à une pensée positive forcenée. Dans la continuité d'une saison qui fut dense au début et à la fin — sans trop d'émotion au milieu à vrai dire, triste était le parcours du Goudet mais ô combien magnifique le haut Chéran, triste fut le Bès et surprenante la Marne —, ce livre m'a fait passer le seuil de l'année avec une grande tape dans le dos et m'a propulsé vers l'ouverture de la pêche à la vitesse d'une mouche toute neuve s'envolant vers les branches !
« ...
un objet brillant muni de nageoires passa au-dessus de lui comme un satellite
et
s'en fut s'écraser dans l'herbe humide.
Notre
première truite venait d'entrer en vol plané dans notre vie d'artistes »,
Christian
Plume, La truite et
moi.
Deux amis parisiens partent vers le Sud, une panne les oblige à s'arrêter dans un village, les réparations prennent du temps et ils décident de le tuer en s'initiant à la pêche à la mouche. Le Doustre n'est pas loin et les truites y sont belles, surtout Caroline, la truite du pont du moulin, sur laquelle veille jalousement le meunier. Oui, nous somme encore en un temps où dans les villages il y a meunier, garagiste, aubergiste, boulanger, postier, détaillant d'articles de pêche (allant de l'asticot grignoteur à la mouche de haute volée), instituteur (parti en vacances), percepteur, une association de pêche et son président qui a autant de pouvoir que Monsieur le Maire, le curé (le meilleur pêcheur de la région) attaché au salut des âmes et les gendarmes attachés au salut tout court.
Tuer le temps au bord de l'eau c'est gagner un peu d'éternité, vous le savez et pour les deux Parisiens la pêche à la truite venait d'ouvrir une parenthèse inattendue : « Notre première truite venait d'entrer en vol plané dans notre vie d'artiste ». Ils viennent en effet d'arriver dans un pays que nous situerons en Corrèze, dans un village qui répond au doux nom, ni long ni court, de Saint- Pantaléon. C'est un pays dans lequel on donne des noms aux truites, bien souvent celui de leur résidence, la Caroline du Pont par exemple, et il en va de même pour les filles du village dont le nom est associé au métier du paternel, une manière prudente de situer sa place dans la hiérarchie du village et tout aussi prudemment de reconnaître l'autorité morale du géniteur. Ainsi, on évoquera souvent d'un air rêveur, la fille du meunier, celle du garagiste et d'un air contrarié celle du gendarme (plus difficile à attraper).
On remarquera tout de suite que si les truites du
coin se couchent, malgré elles, dans la fougère du panier, les filles du
village quant à elles, et avec plus de bonne volonté, se retrouvent allongées
dans le foin de la grange. Mais, toutes les deux en somme donnent leur premier
rendez-vous sous le pont.
Quel
pays ! Aller à la pêche revient à donner un rendez-vous galant, et prendre
une truite donner un premier baiser !
« Essayez
un peu de prendre ma truite et je vous massacre tous »,
Christian
Plume, La truite et
moi.
L'histoire
de Christian Plume échappe au franchouillard car il s'agit de pêche à la
mouche, avec une nette préférence pour la mouche sèche sur la noyée qui ratisse
large et peigne fin. Plume joue avec les grands auteurs comme Lord Grey of
Fallodon qui évoque l'épuisette comme l'élément essentiel bien avant la canne
et presqu'avant la truite elle-même, puis Barbelion pour qui pêcher par eaux
basses n'est pas bon et Tony Burnand pour qui pêcher par hautes eaux n'est pas
bon non plus... Et pour pousser la contradiction jusqu'à la caricature, il cite
le frère François Fortin dit le Solitaire inventif (auteur des Ruses innocentes, publié en 1668 avec Privilège du Roi) qui développe avec détails
l'utilisation du filet pour une pêche avec laquelle la maille importe peu.
Mais Bouladou le meunier est furieux, sa fille, pour un baiser dans le foin, est déshonorée par le Parisien. Déjà que dans le pays on se désolait que des étrangers d'un village distant de sept kilomètres viennent faucher les truites, imaginez un peu l'émoi quand un Parisien vient faucher les filles... Bouladou est meunier, propriétaire du moulin et des rives du Doustre et même du meilleur près à sauterelles du coin. Plus personne n'aura le droit de pêcher la Caroline. Il barricade, pose des barbelés, fortifie le moulin, charge le fusil et sort les chiens « ça vaut trente ministres et cent députés » dit-il !
La situation dérape et n'est pas sans rappeler Fantasia chez les ploucs (The diamond bikini) de Charles Williams, traduit en français en 1957 dans la Série
noire et aujourd'hui réactualisé aux excellentes éditions Gallmeister :
« ça peut dégénérer au point qu'un type commencerait à envisager d'arrêter
la politique et de se mettre au boulot, bien que là, comme ça, je me souviens
pas d'un seul cas de type qu'aurait craqué au point d'en arriver là. »
Et
ça craque, il ne reste désormais plus que l'étang à carpes, misère !
Alphonse Granelet, président jupitérien de La Truite palisséenne, offre
alors une récompense de dix mille francs à qui prendra la truite du moulin, la
truite du meunier Bouladou prénommée « la Caroline ». Tout le pays,
et même au-delà, accourt sur les rives du Doustre et les gendarmes suivent de
près, forcément. Une Caroline de cette taille vaut mieux que « C'est
l'heure de l'apéro » et bien plus que « Débouchons une bonne
bouteille ». La truite n'en réchappa pas et on retrouva même dans l'herbe
piétinée un contrat de mariage signé d'une écriture terrifiée... et des traces
de pneus d'une voiture au démarrage précipité.
Christian
Plume n'est plus de ce monde, son monde aussi n'est presque plus du nôtre,
hélas ! Mais, je me suis bien amusé à le lire. En refermant le livre sur
la jaquette, une liste de quarante-deux ouvrages de même style reste à
découvrir, certains sont marqués d'un astérisque avec la mention
« Ouvrages pouvant être mis entre toutes les mains », celui-ci n'en a
pas.... autres temps autres mœurs !
« - Il y a tout de
même une chose que je voudrais bien savoir avant de mourir
Ah oui ? Et quoi ?
Quel goût ça a, la truite ? »,
Christian
Plume, La truite et
moi.
Chamane51
le 16/04/2018
Liste des livres commentés (56 livres):
Eric Audinet, Jean-Luc Chapin, Pêcheur
Le Guide, voyage de pêche dans les Hébrides
Numa Marengo, La pêche et Platon
Philippe Cortay, Les Murmures du Versant
Serge Sautreau, Après vous mon cher Goetz
Maurice CONSTANTIN-WEYER, La chasse au brochet
Denis Rigal, Eloge de la truite
Jean Rodier, En remontant les ruisseaux
Joan Miquel Touron, La belle histoire de la pêche à la mouche
Bill Fançois, La truite et le perroquet
Henry David Thoreau, Journal (Vol. 1)
Laurent Madelon, Plaisirs de la pêche en montagne,
René Hénoumont, Le jeune homme et la rivière
John Gierach, Là-bas, les truites...
Jacques-Étienne Bovard, La pêche à rôder
J. de Lespinay, Si vous prenez la mouche...
Sophie Massalovitch, Le goût de la pêche
Serge Sautreau, Le rêve de la pêche
Sean Nixon, Les Nuits du Connemara
Pierre Clostermann, La Prière du pêcheur
Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer.
Pierre Clostermann, Mémoires au bout d'un fil.
Pierre Clostermann, Spartacus l'espadon
Maurice Genevoix, Tendre bestiaire.
Maurice Genevoix, Rémi des Rauches
Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages
Pierre Perret, Les poissons et moi.
John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme
Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur
Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur.
Henry David Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison
Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites
William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger
Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.
René Fallet, Les pieds dans l'eau.
Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été.
Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,
Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche
Jim Harrison, Un bon jour pour mourir
Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.
Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.
Henri Bosco, L'enfant et la rivière.
Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.
John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.
Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.
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