Henri Bosco, L'enfant et la rivière.
Henri Bosco, L'enfant et la rivière, Gallimard jeunesse 2007 (1945)
La rivière est bien souvent une invitation à la rêverie. C'est par elle que Bosco nous invite à nous évader. La rivière, d'eau vive ou dormante, insolite endroit où l'on apprend autant sur soi-même que sur le monde, ouvre l'espace et appelle au dépassement de soi.
Henri
Bosco le dit, d'emblée, avec une phrase simple mais dont la portée est poétique
: « Mais au-delà coulait une rivière ». On pense, bien sûr au roman de Norman
Mc Lean Au milieu coule une rivière, traduction française de La rivière du 6ème jour.
Cependant, celle de Bosco ne clôt ni l'espace ni le temps. Elle n'est pas
donnée aux hommes pour être comme la terre, moissonnée, ce n'est pas un
reliquat, un témoignage archéologique du Paradis perdu. Non, la rivière d'Henri
Bosco, vous appelle, irrésistiblement, elle exerce une séduction incontrôlable,
irrépréhensible. Elle a une âme, une force, un corps souple et puissant,
étincelant ou ombreux, des bras, des cachettes, un lit même, avec lequel elle
vous séduira. Elle est tentatrice.
Pascalet,
le jeune héros, vit tout près de la Durance dans la métairie provençale de ses
parents, gouvernée par sa tante qui dirige avec rigueur et économie. Il ne sait
pas encore qui il est, et il s'ennuie. La rivière lui est interdite. No man's
land ensorcelé, au-delà du cercle tracé par l'ombre du clocher, les histoires
étranges que l'on raconte à son sujet se mêlent souvent à la nuit tombée, le
feu dans l'âtre, la rumeur vagabonde, des Bohémiens voyageurs. Passe de temps
et temps, le braconnier quelque peu mystérieux et impressionnant qui apporte
avec lui des poissons tirés de la rivière. Nous sommes à une époque où la pêche
n'est pas sélective, où les hommes font repas d'un gardon de belle taille d'un
brochet, d'une carpe un peu grasse et même d'un chevesne s'il tient dans
l'assiette. On n'est pas aussi regardant qu'aujourd'hui et l'occasion fait
ventre. Mieux, les poissons mangés associent l'homme à sa rivière, à son
terroir, à son pays ; ils ont cette faculté dans le roman de Bosco, et Pascalet
les a mangés.
La
rivière l'appelle, Pascalet ne lui résiste pas. Il s'échappe, s'avance vers
elle, s'abandonne, s'assoupit et s'endort même lové dans l'un de ses bras.
C'est là que l'enfant perdit la notion du temps, du lieu et de lui-même. La
rivière joue de ses charmes et finit par le posséder. Le jeune héros devient le
jouet du cours d'eau. Commence alors une belle aventure. La rivière lève ses
voiles un à un, se laisse découvrir et s'abandonne à son tour et se fait guide.
Elle donne Gatzo (« homme » en gitan) à Pascalet, un jeune Bohémien en rupture
de ban. C'est lui qui guidera le jeune héros. Il lui apprendra la pêche au
bouchon, les nœuds sur le crin, les hameçons, les nasses et le trémail. Il lui
fera reconnaître le pépiement des oiseaux dans les roseaux, le souffle du vent
dans les ramures du saule, le coassement de la grenouille, les éclaboussures
bruyantes d'un rat effarouché. Pascalet regardera Gatzo plonger dans la
rivière, il le verra disparaître, se faire invisible pour affronter le monde
invisible des eaux. Ils boiront aussi, tous les deux à genoux, côte à côte,
l'eau à la source. L'initiation se poursuit en s'enfonçant dans les eaux
dormantes de la rivière, loin de la « rive natale » et des cheminées fumantes.
Une noue oubliée par les cartographes, une oubliette liquide masquée de roseaux
sert de refuge, elle est un merveilleux jardin lacustre, beau reflet du Paradis
perdu. Il sait bientôt lire les présages dans le ciel, et devine les signes que
l'eau prodigue. Il connaît le feu et la terre. Pascalet est maintenant
l'initié.
Attiré
par le mystère, taraudé par le désir, le jeune Pascalet, était une âme en quête
d'elle-même. Le parcours initiatique dessiné par la rivière a permis de lever
les voiles un à un jusqu'au dernier, jusqu' à la totale découverte de soi.
C'est porté par une barque en dérive que la Mort apparaît « au milieu du lac
reposait une île... la barque encore sur son erre, glissait sans rider l'eau ;
et l'île s'avançait vers nous calme et fantomale. » Une bâtisse modeste,
oubliée elle aussi, Notre-Dame-des-Eaux-Dormantes se dévoile. Le voyage
s'arrête là, une fois posé le pied à terre. Pour Bosco, la mort est terrestre
et se matérialise par la pierre et les fondations. C'est aussi le retour à la
vie des hommes en société, à l'ombre réconfortante du clocher, à la communauté
réunie autour du foyer. C'est la fin du parcours initiatique et de
l'enchantement. Pourtant, ce n'est pas la fin du parcours onirique. On n'oublie
pas si facilement l'expérience de la rivière, et Pascalet rêve. Il rêve
d'ablettes argentées, de truitelles flottant dans les courants, nageant dans
des eaux limpides et cristallines. Il n'oublie pas que ce sont elles qui
l'amenèrent à la rivière.
L'Enfant et la rivière d'Henri Bosco et bien plus qu'un
roman pour jeune lecteur. C'est une œuvre littéraire puissante. La rivière, ses
poissons, animent les mondes aquatiques, oniriques et relient l'enfant au monde
cosmique. Pascalet a reçu l'initiation par cette expérience de vie primitive.
Il a pris conscience de son existence par l'enchantement des Eaux vives et des
Eaux dormantes.
Liste des livres commentés:
Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.
John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.
Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.
John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche
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