Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.

 

 


Philippe Nicolas
. L'enchantement de la rivière. Petit bréviaire de la pêche à la mouche, Ed. Transboréal, Coll. « Petite philosophie du voyage », 2009.

 Philippe Nicolas est un pêcheur à la mouche de ceux qui vivent leur passion ou que la passion fait vivre. C'est pour cela qu'il est bon de le lire. Son petit livre, qu'il appelle aussi son bréviaire, rend hommage à la rivière que le pêcheur peut célébrer de vêpres à complies c'est-à dire du coup du matin au coup du soir. Il y a de la religiosité dans sa démarche. Cheminer le long des cours d'eau fait penser, réfléchir et marcher, mais amène aussi à se penser par besoin et par juste retour des choses. C'est un appel, un enchantement, une sorte d'enthousiasme que le lieu géographique, la rivière, peut faire naître chez qui sait lui être attentif : « Rivières vous m'enchantez » écrit-il.

 

    Faut-il être initié pour cela ? Certainement, mais pas à la manière d'une communauté secrète de dévots disciplinés, sa religiosité est d'abord joyeuse, allègre, étonnée, émerveillée. Les rivières sont des êtres qui ont vu passer le temps, l'histoire des hommes, de la bergère agenouillée pour y boire à celle escortée par de féroce gens d'armes, hérissés de métal, traversant la Meuse par ses gués secrets. Combien de truites se souviennent de Jeanne traversant la rivière ? La rivière accompagne les illuminations, les hallucinations comme celles de Rimbaud avec Ophélie qui flotte sur l'eau couchée dans sa robe étalée sur l'onde et nimbée d'un halo de lumière : « Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle, elle éveille parfois dans un aulne qui dort. Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile : -Un chant mystérieux tombe des astres d'or ». Le pêcheur est là dans l'instant de la rivière qui s'écoule, ébloui par sa brillance volée par éclats au soleil ou à la pluie. Tourneboulé par sa fluidité, sa course ramifiée d'entrelacs, ses cascades bruyantes d'oraisons catastrophées, par la torpeur des gouffres dont le silence inquiète. Ou, plus serein, près de la rivière onduleuse et nonchalante qui parcourt les prairies généreuses pour s'y perdre, ou encore traversant les forêts qui, dans ce miroir changeant, tentent de s'y regarder. Qui, au cours de son cheminement de pêcheur, n'a jamais traversé une sapinière, ne peut connaître ce mystère. Etrange lieux, sans oiseau, les pas étouffés par le tapis d'aiguilles qui recouvre tout le sol, la lumière suspendue, par la ramure sombre des sapins, la vue qui se perd et croit déceler des ombres, des formes, des apparitions mouvantes. Mieux vaut ne pas être seul alors !

    La rivière est avant tout un paysage de l'âme. On devine celle de Philippe Nicolas à travers son livre. Celle d'un pêcheur qui célèbre la rivière, ses poissons, truites et saumons, la pêche avec ravissement. Il se « fond sans se confondre » dans la nature. Il est vrai que la pêche est une activité qui éloigne du clocher, du finage, des hommes en société pour chercher les limites et l'ensauvagé. A se vouloir loin des hommes, on se retrouve soi-même, c'est ce que nous indique l'auteur. Mais, on n'échappe pas à sa condition. Attentif à l'évolution des rivières et de la pêche, il souligne que bien des cours d'eau sont sans pêcheurs et que bien des pêcheurs n'ont plus de rivières. Une césure grandissante éloigne l'homme de la nature. Le pêcheur n'en sort pas indemne entre l'abandon du domaine public, le développement des parcours privés, des voyages de pêche à tarification astronomique en passant par la pêche marketing, frimeuse et ostentatoire. Les rivières se dépeuplent, s'alanguissent et s'ennuient. Elles ont besoin des hommes pour vivre, qui pourrait les raconter sinon ? C'est aussi se respecter en les considérant avec attention et en considérant ses poissons. Pratiquer le catch and release c'est rendre grâce au poisson, donner, partager, ne pas épuiser la ressource, c'est en somme le beau geste élevé au rang d'une esthétique respectueuse de la nature, réintroduire la concorde et l'harmonie. Ne parlons pas d'écologie, le mot devient soudain trop grossier.

 

 

    Nous sommes arrivés à un moment important, dans la vie commune et même intime que nous partageons avec les rivières. Il y avait dans l'Antiquité grecque, une nymphe qui animait les eaux riantes d'une rivière d'Arcadie. Elle était tombée amoureuse d'un jeune berger du nom de Selemnos. L'amour de la nymphe dura tant que la beauté du jeune berger demeura, puis elle l'abandonna. De désespoir et de douleur, le berger mourut et fut transformé en rivière par la déesse Aphrodite. Mais sa douleur ne s'éteignit pas pour autant, alors elle lui accorda la possibilité d'oublier son tourment. C'est pourquoi, à cette époque, ceux qui se baignaient dans le Selemnos pouvaient oublier leurs chagrins et leurs peines. A notre époque de modernité post industrielle et mondialisée, on ne devrait pas oublier que toutes les rivières sont un don de la nature et que nous appartenons, nous les pêcheurs tout comme les poissons, au monde des eaux vives. Si elles disparaissent, nous mourrons aussi.

 

Chamane 51 le 08/11/09.

Chamane51 le 23/12/09

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