John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche, Ed. Gallmeister, 2007

John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche, Ed. Gallmeister, 2007

 

 


 John D. Voelker était un écrivain du Michigan, juge et avocat, il connaissait bien la vie des hommes dans ce qu'elle a de plus laid et pourtant il écrivit aussi sur les truites et leurs pêches, dans ce qu'elles ont de plus beau. Il est bien connu pour Autopsie d'un meurtre signé sous le pseudonyme de Robert Traver (mis en film par Otto Preminger en 1959) et c'est ainsi qu'il est souvent référencé sur les sites américains. C'est également un pêcheur ou plutôt un homme de pêche devrait-on dire. Car il y a dans ses histoires une rencontre entre l'homme, la nature et les truites. En ce sens John D. Voelker nous dit que le « pêcheur » n'existe pas ou qu'il est avant tout un homme dont la proximité avec les éléments aquatiques, les poissons, constitue une expérience dont l'altérité transforme irrémédiablement l'homme, le possède et l'envoûte. La pêche devient une vraie passion parce que vitale, nécessaire à la survie, voire peut-être avec un peu plus de légèreté, un art de vivre aussi délicieux qu'un bon whisky dans une timbale de fer blanc au bord d'une rivière.

 

« Pêchons, buvons et profitons bien,

car demain nous devons tondre la pelouse. Skâl ! »

John D. Voelker

 

Cependant, je crois qu'il faut distinguer deux moments dans sa geste halieutique. Le premier ouvrage que j'ai lu, Itinéraire d'un pêcheur à la mouche (Trout madness, 1960) me semble moins bon que le second Testament d'un pêcheur à la mouche (Trout magic, 1974). Dans le premier livre, l'auteur nous livre une série d'histoires courtes d'aventures de pêche. Souvent drôles, caustiques même, John D. Voelker écrit un hymne joyeux à la pêche et à son enivrante obsession : « Je tendis ma bière vers le ciel. Nous avons eu une rude journée ma p'tite dame, murmurais-je. Pêchons, buvons et profitons bien, car demain nous devons tondre la pelouse. Skâl ! ». Toutes ces short stories ne sont pas égales. Mais je suis sensible à la traduction qu'il donne de l'expérience de l'homme absorbé par la nature. Il y a là une véritable possession que l'auteur traduit dans un passage assez intense : « L'intermonde aqueux et spectral où vivent les pêcheurs à la mouche abrite de nombreuses sectes... », dont il peine lui-même à se sortir, jusqu'au jour où au bout de son propre cheminement il pense que le meilleur moment pour aller à la pêche est celui où l'on peut échapper aux vicissitudes de la vie contemporaine. Un peu plus loin, lorsqu'il parle de ses yeux fatigués, c'est pour évoquer l'attention que doit porter le pêcheur à l'observation de la nature dans son intimité, parce qu'il en fait partie intégrante et qu'il s'y est confondu. Certes, tout contemplateur qu'il est, l'auteur ramasse ses truites et remplit la besace. Pas de « no kill » donc, mais un remord ténu s'exprime tout de même lorsqu'il indique qu'il ne fera jamais partie de la « confrérie des pêcheurs au grand cœur » et qu'il restera « un paysan » qui moissonne consciencieusement ses rivières.

 

« JE PECHE PARCE QUE J'AIME PECHER »

John D. Voelker

 

Le second livre, commence par un prologue dont le titre « Testament d'un homme de pêche ou d'un pêcheur » (pas seulement du « pêcheur à la mouche ») donne le ton à l'ensemble de l'ouvrage. Ce court texte placé en préambule a un statut tout particulier je crois : plus qu'un testament, une courte oraison ? un chant du cygne ? Je plaiderai plutôt pour un manifeste : « JE PECHE PARCE QUE J'AIME PECHER » (en majuscules dans le texte) vaut pour une déclaration rageuse urbi et orbi, un mot d'ordre universel, un cri de ralliement pour tous les pêcheurs qui ressentent parfois le doute culpabilisant d'abandonner, femme et enfants pour la rivière, de s'abandonner à la pêche elle-même, alors que le monde dans son gigantesque mouvement brownien connaît les pires tourments. Ce prologue est donc LE manifeste du pêcheur qui s'est voué - sans repentir possible - à l'onde visible, à ses profondeurs et ses courants sombres, à ses poissons d'or, de vif argent, à ses bagarreuses si généreuses, à la nature toujours splendide, et dans le Michigan on ne mettra pas en doute la parole de John D. Voelker. C'est un homme de loi et il sait bien que plaider coupable dès le début d'un procès a le double avantage d'alléger la peine et les remords. L'auditoire est conquis, la plaidoirie est gagnée d'avance, la suite plus dense que dans le premier opus que j'ai lu, en est que plus délectable. John D. Voelker est notre homme, il nous a compris !

 

« la pêche à la mouche est une activité si plaisante

qu'elle mériterait qu'on la pratique au lit »

John D. Voelker

 

S'ensuivent de courtes histoires, rondement menées avec humour et drôlerie. De l'amitié d'abord, de celle qu'il peut y avoir entre les générations entre ceux qui partagent un verre après une bonne journée passée à crapahuter sur les bord d'une rivière ou à ramer pour amener la barque sur une bonne dérive. De l'amour et de la pêche aussi : « la pêche à la mouche est une activité si plaisante qu'elle mériterait qu'on la pratique au lit ». Prudemment, j'ajouterai seulement si les femmes étaient des truites bien sûr et à la réflexion pourquoi ne le seraient- elles pas ? Mais d'autres histoires sont toutes aussi drôles, comme McGinnis, guide de pêche, et alternent avec des réflexions plus poétiques comme Ode au lancer rare. L'auteur, avec modestie, ne cherche pas dans cette courte histoire à « pérorer plus haut que ses waders », néanmoins il avance téméraire la méthode du non-lancer, avec laquelle le pêcheur est dans l'ascèse du lancer rare. Une philosophie insolite, du lent, du modeste, de la quiétude et du contemplatif, à mettre en relation avec le début de l'ouvrage lorsqu'il regrette de n'avoir qu'une seule vie à offrir à la pêche. Eloge de l'immobilisme pour mieux éprouver la joie du temps présent au bord de l'eau, carpe diem, cueille le jour !

 

Ces courts récits déclinent avec humour, drôlerie, la pêche, l'homme, la nature, l'amitié. John D. Voelker établit avec jubilation la pêche comme culture et certainement comme un véritable art de vivre. 430 pages à lire avec délice !

Chamane 51 (le 15/08/09)


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