Serge Sautreau, Après vous mon cher Goetz

Serge Sautreau, Après vous mon cher Goetz, Nouvelles, L'Atelier des Brisants, 2001


La découverte de ce livre m'a fait l'effet d'entrer dans un nouveau magasin de pêche. Tout y est séduisant, nouveau, inédit et finalement on ne sait plus où donner de la tête et on s'y perd, par bonheur, absorbé par tant d'idées et de possibilités renouvelées. Ce livre a été tout cela. Onze nouvelles dans lesquelles il est question de pêche. Enfin, de pêche à la manière de Serge Sautreau, ce qui n'est plus exactement la même chose. On reste en effet dans le domaine de la pêche mais au bord de quelque chose qui peut vous renverser à tout moment. Une berge glissante, une falaise, une déclivité masquée par des algues, un simple bord de l'eau, un pas de travers et vous-voilà dans un autre monde. Pas de waders, ni de bâton de wading, on nage entre les lignes.

Sautreau, on le sait depuis Le rêve de la pêche, est un très bel écrivain, magique, par ses tours littéraires, sa poésie narrative, ses contemplations extatiques, souvent drôles, toujours surprenantes, éblouissantes.


« Des hommes en redingote, d'autres en courtil,

des femmes, des enfants,

même des jeunes filles prêtes à marier, pêchaient ».

Les dimanches d'un bourgeois de paris,

La pêche à la ligne, Guy de Maupassant, 1880.

 

Gustave Caillebotte, Pêche à la ligne, 1878

 

 

Cela fut d'autant plus vrai que j'ai partagé ce temps de lecture avec quelques nouvelles de Maupassant, Les dimanches d'un bourgeois de Paris, Deux amis, Le Trou. Ce sont de courtes nouvelles dans lesquelles l'auteur s'amuse avec la pêche et se moque de ses contemporains, les pêcheurs du dimanche (il ne semble pas qu'il en existait d'autres à l'époque). Contraste de style, minutie de l'observation, sens du détail psychologique, espace clos même au bord de l'eau décrit avec un style simple porté par des phrases qui vont à l'essentiel, sans fioriture, loin des couleurs impressionnistes et plus proche des grisailles d'un Courbet. Maupassant raille les hommes et la pêche, c'est un bon moyen de caricaturer, presque trop facile. Comme cette étonnante scène populaire dans La pêche à la ligne ou dans Les dimanches d'un bourgeois de paris où de longues processions hérissées de gaules en bambou rejoignent la Seine le jour de l'ouverture, ou Patissot qui s'essaie à la pêche avec un guide qui ne pêche pas, des chapeaux attrapés par mégarde et envoyés au milieu du fleuve. 

Pire dans Deux amis, la pêche désirée comme une évasion pendant le siège de Paris par les Prussiens en 1870 tourne au drame absurde. Les pêcheurs pris pour des espions sont fusillés et leurs cadavres jetés à l'eau. Enfin dans Le trou, un pêcheur tue, il assassine un de ses coreligionnaires qui a pris sa place le jour de l'ouverture (ce qui peut se comprendre tout de même). Avec Maupassant, la pêche est une comédie humaine, tantôt comique, tantôt tragique. Tout commence dans l'espoir et l'optimisme, l'évasion et la distraction et se termine par l'échec, le ridicule, la mort. La fonction de la pêche chez Maupassant permet d'introduire à bon compte cette idée que tout espoir est ridicule. Tout espoir est une tromperie, un détournement momentané du destin, de la fatalité, qui, finalement, resserre inexorablement son étreinte sur les hommes jusqu'à leur perdition. Avec Maupassant, on ne va pas à la pêche, on court à sa perte !


« J'ai pêché, savez-vous, plus qu'un dieu ne rêva ».

Après vous mon cher Goetz, Serge Sautreau.

 Edouard Léon Cortes, Pêche en Normandie(1882-1869)

 

 

Après vous mon cher Goetz s'entend alors comme une invitation, celle d'un guide précautionneux à l'égard de son client, d'un ami qui laisse sa place pour accéder au meilleur pool. Un brin mondain dans l'expression presque surannée dans le style, mais parce que vous allez entrer dans un monde surprenant alors autant commencer doucement. Le monde de Sautreau est peuplé de personnages lyriques, poétiques, populaires. A la pêche, le peuple a toute sa place et c'est peut-être là qu'il la tient le mieux, il y a parfois du René Fallet dans le style, mais il y a surtout du rêve et de la poésie. On ne peut que les aimer ces personnages. Celui qui pratique « la voie du héron », autrement dit quelques solitudes essentielles, des immobilités de roc ou de temps suspendu dans les eaux mouvantes. Celui qui voit arriver un ange blondinet habillé de tweed une canne Wise à la main, ou encore le pêcheur aventurier qui découvre une vallée perdue, inexplorée, fort probablement la dernière de notre monde. Le pêcheur révolutionnaire qui rêve d'une Dordogne libre, le savant fou créateur d'un ombre rouge. 

Le professeur tout aussi fou, auteur d'une Dialectique de l'Entomologie Créatrice d'Isaac Walton à Jean-Paul Péquegnot, qui utilise les lettres pour fabriquer des mouches. Shiva elle-même dont chaque cheveu est un torrent bondissant. Et bien sûr Goetz dont la nouvelle donne le nom au livre. Goetz qui disparaît avec la truite qu'il vient de ferrer. Tous ces personnages sont attachants, tendres, rigolards, farceurs, poètes, contemplatifs, ou fous tout simplement. Mais, ils sont façonnés par une autre folie, bien plus grande, bien plus forte, la pêche.

 

 

« On tiendrait pour injurieux, sacrilège même, envers une ablette, une tanche, un brochet ou un saumon de leur fixer un prix, de les affubler d'étiquettes.

Irait-on étalonner des dieux qui se consacrent

au bonheur et à la vie des hommes ?

Après vous mon cher Goetz, Serge Sautreau.

 Edouard Léon Cortes, "Pêcheur a la ligne dans le bras d'une rivière", (1882-1969)

 

 

C'est par la pêche que Sautreau trouve l'imagination. Il invente grâce à elle un monde de songes, de rêve, d'illusion et de fantaisie. On va au-delà de la pêche pour trouver une sorte de vérité qui expliquerait notre monde, enfin celui dont nous rêvons. Sautreau invente le monde de la pêche absolue, indépendamment des contingences de notre pauvre monde, indépendamment de nos connaissances et de leurs systèmes, indépendamment de tout, il n'y a plus que la pêche et tout s'explique par la pêche, pour la pêche. 

Tout est Pêche. Il y a là un monde fabuleux, merveilleux et souvent contemporain. Le mystère de la pêche est à portée du moulinet, Sautreau nous dit comment lancer et où trouver le bonheur dans d'aussi vastes espaces. Onze nouvelles pour accéder au plaisir et à la connaissance du monde, du nôtre, cela va sans dire ; les lunettes polarisantes sont poésie, les waders sont l'imagination, et tout prend sens soudainement : les remous, les reflets, l'onde et la surface, les courants et leurs entrelacs, le brochet, la truite, le saut de l'ange, l'ombre rouge et le milan royal, le quartz irisé des écailles, l'œil noir ourlé d'or, nageoire nervurée d'écarlate, le poisson et son double, le pêcheur du ciel et celui de l'en-deçà, l'Yonne, la Seine, les cheveux de Shiva, l'Exopotamie, La Dordogne libre, les mouches majuscules et même minuscules, le pompon vibratile, l'ondulante et la tournoyante, l'énigme, l'invisible, la voie du héron, l'indicible, l'à peine deviné, l'Absolu, enfin ! Prolégomène de son dernier ouvrage Le Rêve de la pêche que j'ai tant aimé, ces onze nouvelles sont autant de mantras à méditer.

 

« Je tiens le flot de la rivière comme un violon ».

Paul Eluard, Le livre Ouvert in L'eau et les rêves

de Gaston Bachelard.

Chamane 51, le 29/08/2014


Liste des livres commentés:  

Maurice CONSTANTIN-WEYER, La chasse au brochet

Denis Rigal, Eloge de la truite

Jean Rodier, En remontant les ruisseaux 

Joan Miquel Touron, La belle histoire de la pêche à la mouche 

Bill Fançois, La truite et le perroquet

Henri Bosco, Malicroix

Henry David Thoreau, Journal (Vol. 1)

Laurent Madelon, Plaisirs de la pêche en montagne

René Hénoumont, Le jeune homme et la rivière 

John Gierach, Là-bas, les truites... 

Jacques-Étienne Bovard, La pêche à rôder 

J. de Lespinay, Si vous prenez la mouche... 

Sophie Massalovitch, Le goût de la pêche 

Serge Sautreau, Le rêve de la pêche  

Sean Nixon, Les Nuits du Connemara  

Pierre Clostermann, La Prière du pêcheur 

Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer. 

Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer.  

Pierre Clostermann, Mémoires au bout d'un fil.  

Pierre Clostermann, Spartacus l'espadon  

Maurice Genevoix, Tendre bestiaire.  

Maurice Genevoix, Rémi des Rauches  

Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages 

Pierre Perret, Les poissons et moi.  

John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme  

Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur  

Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur.  

Henry David Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison  

Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites  

Cormac McCarthy, La route  

William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger  

Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.  

René Fallet, Les pieds dans l'eau.  

Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau  

Justin Cronin, Quand revient l'été.  

Les Ardennes à fleur d'eau  

Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,  

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche 

Jim Harrison, Un bon jour pour mourir  

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.  

Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.  

Henri Bosco, L'enfant et la rivière.  

Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.  

John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  

John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Bill François, La truite et le perroquet

Le Guide, voyage de pêche dans les Hébrides

John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme