Maurice Genevoix, Tendre bestiaire.

 

Tendre bestiaire,  Maurice Genevoix.


Maurice Genevoix m'accompagne en ces jours ventés et pluvieux. Que voulez-vous, lorsque les rivières ou les lacs s'embrument et se cachent sous des manteaux de pluies, il faut bien tuer le temps par quelques voyages poétiques. Maurice Genevoix est alors un bon guide, amical, sensible et délicat.

 

Dans Tendre bestiaire, il dresse des portraits d'animaux, non pas comme le ferait un zoologiste ou pire un taxidermiste mais comme on le ferait d'un album de famille c'est-à dire avec nostalgie et beaucoup d'amour. Les animaux sont familiers, ils ont toujours étaient là, si présents qu'ils en deviennent intimes et qu'ils partagent le quotidien des hommes parce que finalement ils partagent le même monde de la même manière. Dans ce bestiaire, Maurice Genevoix évoque deux poissons, l'ablette et le brochet. La première si insignifiante et le second si terrible.

 


« Ce n'est qu'un petit poisson, frais, brillant, agile,

dont les bancs frémissants animent la surface de nos fleuves. »

M.Genevoix , L'ablette


Sur le dos une petite cotte de maille scintillante agencée sur un corps mince de vif argent. Etincelante comme les perles que l'on fabriquait jadis avec ses écailles, l'ablette est toute en parure, reflets et miroitements. Pour Genevoix, l'ablette est faite de lumière, elle joue d'ailleurs de la lumière du fleuve avant de jouer dans ses veines et ses courants. Elle vient avec l'aurore et disparait à vêpres autrement dit quand vient le coup du soir. Genevoix les pêche à la mouche non loin des bateaux lavoirs et de leur eau brouillée, bruissante des jacasseries de lavandières : « C'est à travers le banc que je faisais voler ma mouche, et aussitôt pointant vers elle, léger comme d'une chiquenaude, un même sillage me faisait battre le cœur ».

 

L'ablette est une offrande, même si sa lutte saccadée est brève, elle reste un don du fleuve à la main ouverte du pêcheur. Genevoix ne fait plus de l'ablette un poisson commun mais un petit être auquel il pense avec nostalgie. Dans un étang où il les sait nombreuses, il leur apporte quelques miettes de pain, des flocons de pomme de terre et elles viennent dans le brouillard gourmand s'offrir au regard toujours par leurs éclats. Genevoix les compare alors à de petits elfes « bleu, légers, fantasques » qui avancent en confiance dans la manne nourricière. Sur le bord de l'étang, Genevoix les salue, « le pacte est renoué » écrit-il car il n'y a plus, désormais,  d'hameçon entre lui est les ablettes.

 


« Il mord franchement, assez pour que je le sente mordre

dans tout mon bras, jusque dans mon épaule »,

M. Genevoix, Le brochet.


Genevoix a moins d'aménité avec le brochet. C'est un poisson de chasse,  véloce et fort, une mâchoire armée (pensez, sept cent dents...), dangereux surtout lorsqu'il faut lui ôter l'appât de son bec profilé pour la prise. Sans ambages ni fausse honte, il évoque, en détail, la prise du poisson par ses yeux. Une scène cruelle que l'on ne voit plus guère aujourd'hui. Pourtant, Genevoix lui rend réellement hommage : à Najard d'abord, Bohémien, avec à sa roulotte « toujours un faisceau de gaules attaché » avec qui il apprit la pêche (un personnage qui pourrait bien avoir inspiré celui de Gatzo dans L'enfant et la rivière de Bosco), la pêche à rôder, tapis par devers les hautes herbes, faisant ombre commune avec les arbres ou immobile comme le héron les pieds sédimentés dans la vase. Genevoix fut le disciple et l'initié, « possédé » même, puisqu'il l'affirme.

 

C'est alors que Genevoix interrompt son récit pour y insérer une autre histoire, un conte plus précisément intitulé Le brochet de Maurice Genevoix. Drôle de conte, dans lequel il se représente comme un double rêvé à la pêche, dont il rehausse l'action de pêche pas sa propre mise en scène. Genevoix tombe à l'eau dans une mare petite mais qui offre une rencontre inattendue.

 


-         « Pas d'hameçon, n'avez-vous pas compris ?

-         un hameçon ...C'est insensé ! »,

M. Genevoix, Le brochet.

 

Par-dessus lui un homme est là, sans âge et qui semble flotter dans ses vêtements, presque irréel. Celui-ci lui tend une main secourable et ils partent ainsi tous les deux, Maurice Genevoix et son double vers l'antre du brochet. Ils y trouvent le brochet tapis sous un embrouillamini de branches, à l'affut d'une ablette perdue ou d'une grenouille insouciante. Tous les deux devisent à propos du brochet, l'un s'étonne de ne le pas le pêcher l'autre s'offusque d'imaginer le pêcher. Tous les deux sont là, observant le poisson dans les ombres trompeuses de l'endroit ; le brochet majestueux et serein reste aux aguets.

 

Le texte de Genevoix prend alors une longue respiration pour marquer la césure du récit. La première partie montrait un pêcheur si profondément humain et prédateur alors que dans la césure de ce premier texte en y insérant ce conte Genevoix transforme le pêcheur en un être purement contemplatif tenant à la main une gaule dont la ligne n'a nul hameçon. Le pacte est renoué, sublimé même, entre l'homme et le brochet, entre l'homme et la nature. Tous les deux participent du même monde, à égalité, pour ce qu'ils sont.

 

« ... et m'éloignant sur la pointe des pieds, je me laissais au bord de l'eau »,

M. Genevoix, Le brochet.

 Chamane51 le 16/12/2011

 

Illustrations tirées du Guide Julliard de la Pêche

(Péface de René Fallet), Ed. Julliard, 1966









Liste des livres commentés: 

Maurice Genevoix, Tendre bestiaire.  

Maurice Genevoix, Rémi des Rauches  

Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages 

Pierre Perret, Les poissons et moi.  

John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme  

Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur  

Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur.  

Henry David Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison  

Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites  

Cormac McCarthy, La route  

William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger  

Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.  

René Fallet, Les pieds dans l'eau.  

Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau  

Justin Cronin, Quand revient l'été.  

Les Ardennes à fleur d'eau  

Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,  

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche 

Jim Harrison, Un bon jour pour mourir  

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.  

Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.  

Henri Bosco, L'enfant et la rivière.  

Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.  

John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  

John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche

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