Joan Miquel Touron, La belle histoire de la pêche à la mouche
Joan Miquel Touron, La belle histoire de la pêche à la mouche, Editions CPE, 2011
Ce livre n'est pas un livre comme les autres ! Le livre de Touron offre une belle promenade dans la fabuleuse histoire de la pêche à la mouche. Un exercice qui n'est pas nouveau mais qui prend une allure de pérégrination, parfois même de parcours initiatique.
La pêche à la mouche n'est pas toute la pêche, bien entendu, mais elle concentre plus de technique et de métaphysique que toutes les autres. C'est peut-être pour cela qu'elle ne cesse d'interroger et de passionner. A. Thomazi, dans son Histoire de la pêche. Des âges de la pierre à nos jours paru en 1947, ne l'évoque qu'incidemment au cours de ses 645 pages et Jérôme Favard, dans Pêches de jadis, de naguère et d'ailleurs publiées en 1976 aux regrettées éditions Bornemann, évoque quant à lui 150 000 ans de pêche et passe, en chaussant des waders de sept lieues, du Néolithique à Confucius, mais on peut en apprécier le style et l'iconographie recherchée.
De toutes les techniques de pêche c'est bien la pêche à la mouche qui donne à lire une quantité astronomique d'ouvrages littéraires, techniques et parfois même artistiques. Le livre de Touron c'est un peu tout cela à la fois mais pas seulement, car l'auteur est aussi pêcheur ce qui le prémunie d'un style académique et austère et donne à son écriture une nuance passionnée et certainement amoureuse. Touron écrit moins une histoire d'historien qu'une histoire d'amour de la pêche à la mouche.
" Avec ma ligne de soie et mon hameçon délicat,
Je me promène dans une myriade de petites vagues
Et je trouve la liberté"
Li Yu, "Le chant du pêcheur"
in La belle histoire de la pêche à la mouche, Joan Miquel Touron
On relève quelques erreurs mineures à propos de la chronologie (page 133 l'Amérique du Nord n'est plus une colonie anglaise en 1864) ou d'interprétation (page 43) : les Croisades furent loin d'être « inutiles » car elles permirent d'arrêter l'expansionnisme arabo-musulman de l'époque, de transférer le gros de la violence féodale à l'extérieur de l'Europe et in fine de permettre aux villes européennes et à la bourgeoisie de se développer et de moderniser les structures sociales et politiques rien que ça, mais peu importe, ce ne sont que broutilles et pinailleries au regard de ce qui est offert au lecteur. 30 000 ans de pêche pour 223 pages divisées en vingt et un chapitres, c'est trop peu si l'on considère la période embrassée et c'est beaucoup si on considère la masse documentaire rassemblée pour cette histoire foisonnante et étonnante de mouches faites de plumes et de poils montées sur un hameçon.
Quelle drôle d'idée tout de même, attraper des poissons avec des plumes ! Je me souviens d'un passage de Mémoire au bout d'un fil de Pierre Clostermann. Ce dernier évoquait avec un brin d'étonnement et d'admiration des Amérindiens du Brésil qui avant de partir à la pêche prélevaient quelques plumes colorées d'un perroquet pour les nouer à l'emporte-pièce sur un hameçon, c'est simple, efficace, beau, fruit d'une longue expérience, pure et géniale intuition en même temps, voilà certainement depuis bien longtemps, sinon depuis le début, l'essence même de la pêche à la mouche.
Touron nous embarque dans ce voyage dans le temps. L'iconographie interpelle par sa richesse et sa précision, les textes documentaires sont bien choisis et nombreux. On note la présence d'un index très utile mais on regrette aussi l'absence d'une bibliographie que l'on devine fournie et qui pourrait permettre d'approfondir certaines périodes et de continuer ainsi le voyage.
L'auteur commence donc par une « préhistoire de la mouche ». Saumons et brochets et quelques autres poissons figurent sur les parois des grottes ou sur quelques objets au même titre que les grands herbivores ou prédateurs. Ces représentations pariétales m'ont toujours fasciné. Art premier qui a suscité un grand nombre d'hypothèses et d'interprétations. Que recherchaient donc les hommes dans les cavernes pour y peindre, dessiner, sculpter des animaux et même des poissons ? Loin d'être de l'art pour l'art, une décoration pour pratiques magiques ou pire, la simple représentation d'animaux chassés et consommés, ces représentations ont un sens. Il s'agit pour Jean Clottes et David Lewis-Williams dans Les chamanes de la préhistoire, d'une représentation d'un cosmos chamanique organisé, étagé dans l'espace de la grotte et qui sous l'effet d'une lumière vacillante se mettrait à bouger les unes avec les autres en interaction. Saumons et brochets (on peut citer le grand brochet de la fresque des chevaux pommelés de Pech Merle) participent à la danse et évoquent un monde, un en-deçà ou un au-delà, que le chamane tente de rejoindre pour y voyager. Une vision avec laquelle s'amusera au XXIe siècle Paulus Hochgatterer dans sa nouvelle Brève histoire de pêche à la mouche et plus poétiquement peut-être Jim Harrison et Gary Snyder dans leur conversation au sujet du Wilderness dans Aristocrates sauvages aux éditions Wildproject. Mais, nous sommes là dans une dimension plus onirique que technique.
Joan Miquel Touron continue son récit en passant par l'Antiquité grecque et romaine, le « flyfissinge » au Moyen Âge. Mais c'est avec l'époque moderne que le récit de l'auteur s'envole car les sources deviennent plus nombreuses. Dame Juliana Berners (1496), Fernando Barsuto (1539), Juan de Bergara (1624), Izaak Walton (1653) et bien d'autres auteurs donnèrent ses lettres de noblesse à la pêche à la mouche et initièrent un courant de réflexion qui ne dut sa longévité qu'à des mises en pratiques et des expériences critiques longuement répétées. Force est de constater que l'Espagne et l'Angleterre furent les deux foyers de la pêche à la mouche. La France en fut absente, étonnamment absente.
Pour Jean Ardaille, dans Des mouches et des hommes (paru en 1994, livre quasiment introuvable aujourd'hui mais que tout moucheur devrait avoir lu au moins une fois dans sa vie), il faut attendre 1852 pour qu'un livre entièrement consacré à la pêche à la mouche soit écrit en français, c'est celui de Charles de Massas. Étrange inconnu de l'histoire ! Peut-être existe-t-il dans une bibliothèque perdue, un rayonnage oublié avec le livre manquant qui rattachera la France à la grande histoire de la pêche à la mouche... Mais pour Ardaille, il n'en demeure pas moins que dans les hauts plateaux et les hautes vallées, une pêche à la mouche rustique et paysanne, une pêche de subsistance devait exister, malgré des droits seigneuriaux que la Révolution française de 1789 abolira pendant la Nuit du 4 août.
Touron met en lumière une autre idée. La technique peut avoir traversé la Manche et suivi les chemins de Compostelle et essaimé au gré de la nécessité, le long des cours d'eau grâce aux pèlerins à moins que ce ne soit le contraire... Saint François d'Assise prêchait aux oiseaux, les pèlerins pouvaient bien pêcher les poissons !
" Des amis de bonnes compagnie autour d'un verre d'eau et quatre olives,
et je rajouterai, après une partie de pêche,
voilà la recette d'un bonheur authentique"
Joan Miquel Touron
XIXe et XXe siècles voient le plein essor de la pêche à la mouche : conquête géographique à travers tous les continents en même temps que l'acclimatation des truites à des terres inconnues et surtout pêche à tous les étages. Mouche sèche, mouche noyée, nymphe puis streamer. Toute la colonne d'eau est « pêchable », la truite est traquée dans ses moindres retranchements, elle n'a plus que pour salut la pratique d'un no kill que Touron évoque à juste titre avec la personnalité de Lee Wulff et une vision de plus en plus écologiste au fur et à mesure que l'habitat d'eau vive se dégrade suite à la pression humaine et à ses prédations dévastatrices.
L'un des avantages de ce livre est qu'il laisse le rêve libre, non corseté par des théories rigoristes, des préjugés rigides et intransigeants.
Chamane51 le 29/02/2013
Liste des livres commentés:
Bill Fançois, La truite et le perroquet
Henry David Thoreau, Journal (Vol. 1)
Laurent Madelon, Plaisirs de la pêche en montagne,
René Hénoumont, Le jeune homme et la rivière
John Gierach, Là-bas, les truites...
Jacques-Étienne Bovard, La pêche à rôder
J. de Lespinay, Si vous prenez la mouche...
Sophie Massalovitch, Le goût de la pêche
Serge Sautreau, Le rêve de la pêche
Sean Nixon, Les Nuits du Connemara
Pierre Clostermann, La Prière du pêcheur
Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer.
Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer.
Pierre Clostermann, Mémoires au bout d'un fil.
Pierre Clostermann, Spartacus l'espadon
Maurice Genevoix, Tendre bestiaire.
Maurice Genevoix, Rémi des Rauches
Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages
Pierre Perret, Les poissons et moi.
John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme
Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur
Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur.
Henry David Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison
Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites
William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger
Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.
René Fallet, Les pieds dans l'eau.
Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été.
Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,
Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche
Jim Harrison, Un bon jour pour mourir
Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.
Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.
Henri Bosco, L'enfant et la rivière.
Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.
John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.
Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.
John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche
Commentaires
Enregistrer un commentaire