Juhani Karila, La pêche du petit brochet


Juhani Karila, La pêche du petit brochet, (2019) 2021 Editions La Peuplade/J’ai lu.

La Finlande est un territoire qui vu à travers le hublot d’un avion ressemble à une marqueterie de lacs et d’étangs scintillants parmi le sombre des forêts. Dans ce territoire il y a « l’inepte Laponie orientale. Marais, moustiques. Qui n’intéresse personne. Sauf nous » écrit Juhhani Karila dès les premières lignes. Sauf nous ? 

Le Finlandais Marti Linna, dans Le royaume des perches nous avait déjà prévenu, les paysages et les créatures étranges des peintures de Jérôme Bosch pourraient fort bien illustrer l’étrange et le maléfique d’un panorama finlandais. Un pêcheur à la cuiller n’est pas toujours un argument de carte postale et un lac peut fort bien offrir une magnifique scène de crime. Mais avec Juhani Karila les paysages peuvent paraître plus avenants. Le lac Vuopio a dans ses échancrures et ses baies profondes des « brochets taciturnes aussi gros que des billes de bois ». Un programme de brochure pour voyageur-pêcheur et pourtant, une malédiction s’est abattue sur Elina qui a trois jours pour pêcher un brochet et dénouer le sort qui la conduit à la mort. 

« Tout ça pour un brochet. Je sais bien que cette pêche n’a rien d’ordinaire.
 Que tu as une raison sérieuse. Mais est-elle aussi sérieuse que ça ? 
Tu vas te faire tuer. M’entends-tu ? » 
Juhani Karila 

Une course contre la montre se déroule en trois jours et trois nuits pour déjouer la malédiction, pour esquiver une sarabande de monstres, Grabuge géant capable d’un coup de poing d’aplatir comme une crêpe leur victime, ondin qui d’un regard peut vous dépiauter aussi facilement qu’il le ferait d’un gardon, des teignons à la figure de grenouille velue et aux yeux profonds dans lesquels brillent des étoiles et des galaxies vertes et pourpres, des trolls descendus des tunturis ces massifs montagneux ayant résisté aux différentes glaciations, des floches qui sautent d’un corps humain à un autre et le transforment en marionnette désarticulée et saugrenue. 

Trois jours et trois nuits pour affronter les moustiques tronçonneurs et d’autres du genre suceur, les taons, les chrysops, les aeschnées, les poissons d’argent insectes rampants (lépisme argenté), qui secrètement infestent les maisons et charançons attirés ouvertement par les décolletés. Nous sommes dans cette région de Laponie dans une zone frontière, un bout du monde, presque une fin du monde ou l’ancien a survécu et s’agite parmi les hommes. Les phénomènes météorologiques font de grands drames dans le ciel, des tragédies sans cesse répétées chez les hommes, des apocalypses bibliques. Un chaos caniculaire. Les étangs sont des gouffres qui ouvrent sur des mondes enfouis même leurs berges marécageuses peuvent vous aspirer aussi facilement qu’une botte trop enfoncée pour vous restituer mille ans plus tard la peau tannée et un vilain rictus aux lèvres. 
D’ailleurs le dernier enquêteur de la police intervenu dans la région un dénommé La Colombe parti pour deux jours d’enquête resta deux mois, perdit un pied, ses cheveux, son caractère et quelques plumes certainement.

« Sous les patineurs d’eau, le brochet évoluait. 
Sa tête était aussi large que celle d’un crocodile et son corps s’effilait en direction de la queue comme un gourdin. 
Sombre et droit, il traversait son monde trouble. » 
Juhani Karila


C’est un pays où la boutique de pêche vaut autant que la mairie. Des trophées d’élans et de cerfs vous accueillent dès le parking et des gueules béantes de brochets naturalisés font la réclame accrochées à l’intérieur de la boutique. Les hommes et les femmes de ce pays en marge sont souvent sorciers ou magouilleurs, menteurs ou naïvement diseurs de vérités universelles. Leurs facéties, leurs drôleries rappellent les personnages de Tristan Egolf dans Le seigneur des porcheries. C’est un roman où l’on ne s’ennuie pas et on s’amuse à vouloir découvrir la fin sans attendre le troisième jour. 

Mais Elina doit coûte que coûte pêcher ce brochet, qui dans ses entrailles, a la clé du malheur qui la frappe inexorablement. Juhani Karila connaît son affaire et la traductrice également, le récit du point vue halieutique tient la route ce qui n’est pas toujours le cas dans ce genre de littérature. Elina donc, sait pêcher, spinning, casting, au Rapala, au spinner bait, à la cuiller, à la mouche. Elle fabrique ses avançons en acier et discute de l’intérêt du fluorocarbonne. Elle fait aussi avancer sa barque, les mains soudées aux manchons des rames en remontant la rivière ou en la descendant, elle franchit des rapides bouillonnants et pêche des truites fario, des arc-en-ciels, des ombres communs, elle remplit des seaux et des baquets pour donner ou offrir. Plus elle angoisse, plus elle pêche. 

Plus elle pêche, plus elle craint d’angoisser. L’amour conduit parfois à des réactions irrationnelles à moins que ce soit la pêche ! La bataille finale doit déjouer le sort, elle est à la fois titanesque et rocambolesque. C’est au bord de l’agonie que l’on se réveille le mieux. 

Heureusement, Elina n’est pas seule et elle est si attachante qu’on ne veut pas la voir disparaître dans l’autre monde. Une pêcheuse aux leurres et à la mouche mérite bien notre compassion et plus sûrement notre admiration. 

« Dans les entrailles du brochet 
        Dans la troisième entortillée 
                   Je maudis ce caillou jeté. » 
Juhani Karila 

 E.A. Morell, jour de Pâques 2025

Liste des livres commentés (53):  

Jean-Marie Rouffaneau, Histoires de pêche, Rabouin

Le Guide, voyage de pêche dans les Hébrides

Numa Marengo, La pêche et Platon

Philippe Cortay, Les Murmures du Versant

Serge Sautreau, Après vous mon cher Goetz

Maurice CONSTANTIN-WEYER, La chasse au brochet

Denis Rigal, Eloge de la truite

Jean Rodier, En remontant les ruisseaux 

Joan Miquel Touron, La belle histoire de la pêche à la mouche 

Bill Fançois, La truite et le perroquet

Henri Bosco, Malicroix

Henry David Thoreau, Journal (Vol. 1)

Laurent Madelon, Plaisirs de la pêche en montagne

René Hénoumont, Le jeune homme et la rivière 

John Gierach, Là-bas, les truites... 

Jacques-Étienne Bovard, La pêche à rôder 

J. de Lespinay, Si vous prenez la mouche... 

Sophie Massalovitch, Le goût de la pêche 

Serge Sautreau, Le rêve de la pêche  

Sean Nixon, Les Nuits du Connemara  

Pierre Clostermann, La Prière du pêcheur 

Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer. 

Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer.  

Pierre Clostermann, Mémoires au bout d'un fil.  

Pierre Clostermann, Spartacus l'espadon  

Maurice Genevoix, Tendre bestiaire.  

Maurice Genevoix, Rémi des Rauches  

Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages 

Pierre Perret, Les poissons et moi.  

John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme  

Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur  

Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur.  

Henry David Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison  

Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites  

Cormac McCarthy, La route  

William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger  

Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.  

René Fallet, Les pieds dans l'eau.  

Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau  

Justin Cronin, Quand revient l'été.  

Les Ardennes à fleur d'eau  

Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,  

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche 

Jim Harrison, Un bon jour pour mourir  

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.  

Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.  

Henri Bosco, L'enfant et la rivière.  

Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.  

John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  

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