Peter Heller, Le Guide.
Peter Heller, Le Guide, Actes Sud, 2023
Le nouveau livre de
Peter Heller est déjà porté par la renommée de Peindre, pêcher et laisser mourir dont la lecture m’avait laissé une belle et forte impression.
Peter Heller commence toujours ses romans par des phrases dont la musicalité amène le lecteur dans le roman comme un chemin en pente douce vers la rivière. On pousse les premières branches, on observe le chemin et on entend la rivière, on écoute son chant, on la devine, on l’imagine puis on arrive sur une plage, sur la rive, sur un rocher. On retrouve, évidemment ou malheureusement, les mêmes ressorts que dans Peindre, pêcher et laisser mourir. Jack est un homme blessé qui tente de survivre dans un environnement instable. Le chaos extérieur ajoute au chaos intérieur et pourtant il trouve par sa seule force le moyen, non pas de surmonter l’épreuve, mais de survivre tant bien que mal et plutôt mal que bien. Il le fait à la manière de ce qu’il est, dur à la peine, dur au mal, moitié cowboy moitié guide de pêche, un sang mêlé de grandes plaines et de rivières sans fin. Alors « Comment fait-on ? ». Une interrogation essentielle qui revient à plusieurs reprises dans le livre. L’auteur apporte une première réponse : On se lève le matin, on prend un solide petit déjeuner et on part à la pêche et c’est tout de même mieux que tous les psychotropes et analyses de canapés.
« Il avait
disparu dans les rivières.
Le seul endroit en dehors des livres
où il pouvait trouver une minute de réconfort. »
P.
Heller, Le Guide.
Ce fut l’expérience de
Gretel Ehrlich dans La Consolation des
grands espaces dans le Wyoming, celle d’Annie Dillard dans Pèlerinage à Tinker Creek en Virginie ou plus simplement de Thoreau si l’on veut encore évoquer son
haut patronage. En ce sens P. Heller est pleinement dans la veine Nature writing et insère son nouveau roman dans un courant où la nature est toujours
mythique et mystique à la fois, où la géologie des grands espaces fait écho à
la géologie de l’âme, mêmes stratifications, mêmes accumulations, mêmes
affleurements, mêmes cassures.
« Le truc avec la pêche : elle emportait tout avec elle,
pour ne laisser que l’eau, la pierre et
le vent.
Le cri des oiseaux. Le chant des chutes. … »
P. Heller, Le Guide.
« Elle poussait un petit cri à chaque fois que ça mordait et sur sa douzaine de touches,
elle ramena presque tous les poissons. »
P. Heller, Le Guide.
Alison est la cliente
de Jack. C’est la règle du jeu. Mais Alison a d’emblée un supplément d’âme, un
regard qui plonge loin dans le paysage parce qu’il s’enracine loin dans la
sensibilité. Quand Jack évoque ses montagnes les Never Summers et Gore range (Montagnes
rocheuses du Colorado), elle lui répond : « ah oui, sacrés noms. On
pourrait presque partir en randonnées à l’intérieur des mots eux-mêmes ».
Une répartie qui fait mouche, Jack repose sa tasse et reste songeur. Un lien
vient de se tisser entre ces deux êtres dont les histoires vont s’accoler par
le miracle de la pêche à la mouche. Il est vrai que la littérature de la pêche
à la mouche laisse peu de place aux femmes. Je n’ai pas souvenir dans ce que
j’ai lu d’y voir des femmes dans l’eau en train de pêcher. Elles sont rares, il
semble selon un article de Lyla Foggia dans Friends on the water, Flyfishing in good company (livre de photographies de R. Valentine Atkinson, pionnier du genre et
dont il faut avoir feuilleté les livres) que la première fut observée en 1895
dans les Catskills en compagnie de Théodore Gordon fondateur d’une des première
école de pêche à la mouche (dry fly only !). Elle laissa une impression
incroyable aux spectateurs, l’un d’eux dira « elle marchait dans l’eau et
pêchait aussi bien que les hommes »… Autre temps, Alison fascine Jack car
sa gestuelle est maîtrisée et gracile, ses posés sont précis et doux, ses
déplacements discrets et judicieux, elle bataille avec des truites énervées
sans jamais abandonner. Tout juste parvient-il à conseiller quelques mouches en
taille correcte pour s’adapter à la situation comme lorsqu’une éclosion de baetis produit dans la rivière « une brume d’étincelles légères ».
P. Heller apporte une
dernière réponse - la plus définitive et radicale au « Comment fait-on ? ».
L’amour ! L’amour
peut raccommoder les âmes déchirées et meurtries, reconstituer les cœurs qui se
croyaient perdus et par-dessus tout, redonner aux rivières ce qu’elles
devraient toujours être, un lieu de renaissance, de régénération, de baptême
pour une vie nouvelle, bien mieux que les délires de milliardaires.
« Il pêchait en
amont.
Sa ligne attrapait le
soleil à chaque lancer. »
P. Heller, Le Guide.
Liste des livres commentés (60 livres)
Kirk Wallace Johnson, Le voleur de plumes
Mark Kingwell, De la pêche à la truite et autres considérations philosophiques.
S. et L. Massé, Lam la truite, Livre de nature et poème de la rivière
Marti Linna, Le royaume des perches
Christian Plume, La truite et moi
Eric Audinet, Jean-Luc Chapin, Pêcheur
Peter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourir
Le Guide, voyage de pêche dans les Hébrides
Numa Marengo, La pêche et Platon
Philippe Cortay, Les Murmures du Versant
Serge Sautreau, Après vous mon cher Goetz
Maurice CONSTANTIN-WEYER, La chasse au brochet
Denis Rigal, Eloge de la truite
Jean Rodier, En remontant les ruisseaux
Joan Miquel Touron, La belle histoire de la pêche à la mouche
Bill Fançois, La truite et le perroquet
Henry David Thoreau, Journal (Vol. 1)
Laurent Madelon, Plaisirs de la pêche en montagne,
René Hénoumont, Le jeune homme et la rivière
John Gierach, Là-bas, les truites...
Jacques-Étienne Bovard, La pêche à rôder
J. de Lespinay, Si vous prenez la mouche...
Sophie Massalovitch, Le goût de la pêche
Serge Sautreau, Le rêve de la pêche
Sean Nixon, Les Nuits du Connemara
Pierre Clostermann, La Prière du pêcheur
Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer.
Pierre Clostermann, Mémoires au bout d'un fil.
Pierre Clostermann, Spartacus l'espadon
Maurice Genevoix, Tendre bestiaire.
Maurice Genevoix, Rémi des Rauches
Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages
Pierre Perret, Les poissons et moi.
John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme
Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur
Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur.
Henry David Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison
Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites
William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger
Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.
René Fallet, Les pieds dans l'eau.
Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été.
Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,
Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche
Jim Harrison, Un bon jour pour mourir
Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.
Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.
Henri Bosco, L'enfant et la rivière.
Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.
John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.
Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.