Mark Kingwell, De la pêche à la truite et autres considérations philosophiques.

 


Mark Kingwell, De la pêche à la truite et autres considérations philosophiques, Essai WYZ, 2016

(Catch and release, Trout fishing and meaning of life)

 

Décider de se mettre à la pêche à la mouche est certainement une idée aussi saugrenue que de vouloir commencer une carrière de chanteur lyrique à un âge avancé, c'est pourtant la décision prise par l'auteur. Somme toute, on peut le comprendre, il y a pire idée que celle-ci. Kingwell nous livre son chemin vers la réalisation de l'idée.



 

« La pêche comme philosophie est érigée sur

une fondation d'apparentes contradictions,

 dont la plus évidente est qu'on ne peut savoir

qu'elle vaut la peine d'être vécue

 avant de savoir qu'elle vaut la peine d'être vécue » M. Kingwell.


 

On peut le suivre, en effet, on peut même se perdre avec lui dans ses pérégrinations intellectuelles ou sociologiques. Selon Kingwell, la pêche à la mouche permet de réfléchir au sens de la vie car celle-ci dans différentes expériences du quotidien peut très bien être résumée par la pêche. Un itinéraire qui ma foi ne m'a pas fait rêver. L'auteur ne revient pas de cet autre monde, de l'autre rive avec sur la face les stigmates d'une vie où l'on rencontre plus de poissons que d'êtres humains, ou la conversation avec les poissons est finalement plus intéressante que celle des humains. 

Un William G. Tapply dans A fly fishing life écrit « j'aime pêcher. Quand je ne peux pas pêcher, je pense à la pêche ». Tout jeune, il rêve du Walden de Thoreau, il passe un temps fou au bord de l'eau, affronte les moustiques, les intempéries, les échecs. Voilà un type qui revient uniquement de l'autre rive pour nous dire que là-bas c'est drôlement mieux. Que la compagnie des poissons est bien plus sympathique, amusante et infiniment plus pourvoyeuse de plaisir en tout genre qu'une vie d'homme urbain et connecté.

 

Kingwell m'a emmené dans ses considérations de professeur de philosophie, il intellectualise la pêche, la soumet à des conceptualisations plus ou moins profondes, la rationalise à coups de sociologie, de sémantique et il m'a perdu... Certes, on peut le retrouver de temps en temps au détour d'un chapitre car il aime la pêche à la mouche et quand il  la définit comme « une technique subtile au service de l'échec » on sourit mais toute la problématique du livre est résumée par cette expression. 

Il n'est pas du côté de la mouche, pas du côté de son invention, de sa fabrication, pas du côté de l'artefact qui fait se joindre le monde de l'en-deça et de l'au-delà si l'on prend le double point de vue du poisson et du pêcheur. Il manque cette sensualité que le pêcheur a intégrée à force de vivre les saisons, de noyer le regard dans les ondes et les nuages, de hâler son teint par le soleil et les réverbérations brûlantes qui creusent les rides à petit feu.

 

« Les écrivains et les pêcheurs tendent tous les deux à terminer la partie productive de leur journée

avec de l'alcool et des discussions animées...» M. Kingwell.

 

Il manque la contemplation des poissons bien que son penchant pour le no kill à la fois éthique et esthétique le rende subitement sympathique. Il écrit : « on peut simplement dire que ce n'était pas élégant (de tuer la truite), qu'il manquait la justification propre à la pêche avec remise à l'eau, propre à maintes activités de la vie, à savoir la beauté ». Malgré tout, la pêche à la mouche semble vue de l'extérieur comme par un regard touristique. 

Je reprends pour vérifier ce qu'écrit Kim Barnes, une femme écrivain auteur de nombreux livres remarqués aux Etats-Unis et qui pêche. Elle écrit dans American writers on fly fishing au chapitre Why i fish : «  Si vous êtes un pêcheur, vous connaissez ce sentiment, vous savez qu'ici, juste là, un gros poisson réside. Vous croyez que si vous faites tout ce qui est juste - si vous êtes assez intelligent, assez prudent, assez patient, si vous êtes vrai d'esprit et pur de cœur - le poisson va monter. »

La pêche, et c'est une femme qui l'écrit, est une expérience totalement orgastique, du gobage à la touche, de la berge à l'entrée dans l'eau, de l'étau au nœud final de la mouche au bout du bas de ligne.

 

Pour ma part la pêche à la mouche est une expérience à laquelle on soumet sa vie, une allégeance à un pacte enthousiaste et toujours renouvelé. Car la pêche à la mouche vaut autant que l'amour lui-même et, sans exagérer, je pense qu'elle rend l'amour encore plus beau !


Liste des livres commentés (58 livres)

S. et L. Massé, Lam la truite, Livre de nature et poème de la rivière

Marti Linna, Le royaume des perches

Christian Plume, La truite et moi

Eric Audinet, Jean-Luc Chapin, Pêcheur

Peter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourir 


Juhani Karila, La pêche du petit brochet

Jean-Marie Rouffaneau, Histoires de pêche, Rabouin

Le Guide, voyage de pêche dans les Hébrides

Numa Marengo, La pêche et Platon

Philippe Cortay, Les Murmures du Versant

Serge Sautreau, Après vous mon cher Goetz

Maurice CONSTANTIN-WEYER, La chasse au brochet

Denis Rigal, Eloge de la truite

Jean Rodier, En remontant les ruisseaux 

Joan Miquel Touron, La belle histoire de la pêche à la mouche 

Bill Fançois, La truite et le perroquet

Henri Bosco, Malicroix

Henry David Thoreau, Journal (Vol. 1)

Laurent Madelon, Plaisirs de la pêche en montagne

René Hénoumont, Le jeune homme et la rivière 

John Gierach, Là-bas, les truites... 

Jacques-Étienne Bovard, La pêche à rôder 

J. de Lespinay, Si vous prenez la mouche... 

Sophie Massalovitch, Le goût de la pêche 

Serge Sautreau, Le rêve de la pêche  

Sean Nixon, Les Nuits du Connemara  

Pierre Clostermann, La Prière du pêcheur 

Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer. 

Pierre Clostermann, Mémoires au bout d'un fil.  

Pierre Clostermann, Spartacus l'espadon  

Maurice Genevoix, Tendre bestiaire.  

Maurice Genevoix, Rémi des Rauches  

Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages 

Pierre Perret, Les poissons et moi.  

John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme  

Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur  

Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur.  

Henry David Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison  

Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites  

Cormac McCarthy, La route  

William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger  

Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.  

René Fallet, Les pieds dans l'eau.  

Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau  

Justin Cronin, Quand revient l'été.  

Les Ardennes à fleur d'eau  

Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,  

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche 

Jim Harrison, Un bon jour pour mourir  

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.  

Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.  

Henri Bosco, L'enfant et la rivière.  

Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.  

John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  


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