Kirk Wallace Johnson, Le voleur de plumes
Kirk Wallace Johnson, Le voleur de plumes, Ed. Marchialy, 2020
« Nous avons remonté la rivière comme si elle ne devait
jamais finir,
à la recherche d'éclairs dorés sous la surface »,
K. W. Johnson.
Lu
en quinze jours le soir à la lampe frontale sous la tente plantée dans un
camping au bord de la Sarca dans les Dolomites. C'était cocasse de passer la
journée en nouant des perdigones au bout du bas de ligne pour pêcher truites et
mamorata et le soir à imaginer les chefs d'œuvre ouvragés du montage de mouche
à saumon dans la grande tradition victorienne.
Quel
rapport, en effet, entre une perdigone dont le seul ornement de plume se
résume à quelques cerques de coq pardo et une mouche à saumon ? La
notice de montage de la Silver
Doctor selon le
grand maître George Kelson dans The Salmon fly publié en 1895 (510 pages et 300 mouches à saumon) indique pour
le tag, fil d'acier argent et soie jaune, laine écarlate, tinsel argent pour le
corps, une bavette de hackle bleu posée par-dessus des fibres pointillées de
plumes de pintade, des ailes pour lesquelles il faut des plumes de canard
carolin, canard pilet, faisan doré, cygne, outarde, canard mallard. La Baron autre mouche dont Kelson vantait les mérites exige de nouer
savamment les plumes d'une douzaine d'espèces d'oiseaux différents collectés
dans le monde entier.
« Les
oiseaux ... devinrent l'objet des pires braconnages ...
les
oiseaux étaient devenus trop beaux pour n'exister qu'au bénéfice de leur propre
espèce »,
K. W. Johnson.
Peut-on
imaginer les efforts de recherche, la passion obsessionnelle que cela
requiert ? On le peut, quand on pêche à la mouche, on sait même qu'il y a
une zone grise, incertaine, dangereuse, une zone de perdition dans laquelle un
pêcheur, un monteur de mouche, ne doit pas s'aventurer. Kirk Wallace Johnson
s'y aventure très prudemment et il donne à lire un roman, une grande enquête
sur un vol d'oiseaux exotiques dont les plumages sont plus extraordinaires les
uns que les autres. Des peaux d'oiseaux exotiques massacrés au XIXe siècle tant
pour la science, si cela a encore un sens de nos jours, que pour ornementer les
articles de mode féminine ou ravir les collectionneurs ce qui n'a plus beaucoup
de sens aujourd'hui, je crois.
« Edwin
monta des piles de mouches qu'il ne savait pas lancer. »,
K. W. Johnson.
Edwin
Rist est un virtuose de la flûte traversière et du montage de mouche à saumon
mais ce n'est pas vraiment un bon cambrioleur. Pourtant bien élevé par un père
attentif qui lisait L'Iliade et L'Odyssée à ses fils et leur interdisait la télévision, Edwin devint vite
l'un des meilleurs monteurs de mouche à saumon dans le style fully dressed. Une passion qui commença lorsque le jeune monteur vit
pour la première fois montée une Orenocensis,
à partir de plumes de Coracine selon l'appellation française, un oiseau rare
d'Amazonie, de la famille des cotingidae,
« il crut qu'il s'agissait d'un tableau ».
-
10 plumes = 50 dollars, 500 plumes font 25 000 dollars !
Edwin
vole 299 peaux d'oiseaux rares appartenant à 16 espèces différentes en
s'introduisant par effraction dans le musée ornithologique de Tring. Il pourra
s'acheter une flûte neuve et devenir le meilleur, le plus admiré monteur de
mouches à saumon.
A
partir de là, on rencontre une multitude d'individus obsédés par les plumes de
montage, des oiseaux exotiques collectés aux XVIIIe et XIXe siècles surtout,
des muséums d'histoire naturelle, des officines plus ou moins secrètes, des
arrière-boutiques sans fenêtre, des commerces interlopes d'espèces protégées,
des contrebandiers usant les sentes d'Internet, des hommes de confiance à la
trahison facile, des monteurs de mouches exhibitionnistes et vantards.
« Elle
(la curiosité) aurait perdu sa peine si ces ouvrages si grands, si purs, si
finement conformés,
si
brillants, si riches de tant de diverses beautés,
elle
ne les offrait qu'au néant »,
Sénèque, De Otio (Du Loisir).
L'atelier
du monteur de mouche devient vite un cabinet de curiosités, sans licorne, ni
bézoard, ni manucaudiale dont les plumes et autres attirails font évocation de
lointains, de mondes disparus, de paradis éventrés, pillés, dont les naturalia deviennent des artificialia.
On croise Darwin, Buffon, Audubon, des guildes secrètes et des forums remplis
de pseudos bavards.
Un
inspecteur irlandais ayant vingt années de carrière à son actif pendant le
conflit nord-irlandais, échappa à de multiples tentatives d'assassinat et
parvint néanmoins à garder la tête froide en montant des mouches pour les
truites de mer, retrouva Edwin. Ce dernier échappe à la prison grâce à un
psychologue de renom qui diagnostiquera, à partir de son obsession des mouches
victoriennes, un autisme de type Asperger. Ça tombe bien !
Il
reste encore quelques dizaines de peaux d'oiseaux dans la nature.
Il
s'en vend encore, entière ou par petits paquets de plumes, sur le dark web.
Dieu dit à Noé
et à ses fils :
« Vous
serez un sujet de crainte et d'effroi pour tout animal sur la terre, pour tout
oiseau du ciel... »,
Genèse 9 : 2.
George Kelson, Salmon Fly, Chapter II
Salmon-flies :
Their
kinds, qualities and materials
Liste des livres commentés (59 livres)
Mark Kingwell, De la pêche à la truite et autres considérations philosophiques.
S. et L. Massé, Lam la truite, Livre de nature et poème de la rivière
Marti Linna, Le royaume des perches
Christian Plume, La truite et moi
Eric Audinet, Jean-Luc Chapin, Pêcheur
Peter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourir
Le Guide, voyage de pêche dans les Hébrides
Numa Marengo, La pêche et Platon
Philippe Cortay, Les Murmures du Versant
Serge Sautreau, Après vous mon cher Goetz
Maurice CONSTANTIN-WEYER, La chasse au brochet
Denis Rigal, Eloge de la truite
Jean Rodier, En remontant les ruisseaux
Joan Miquel Touron, La belle histoire de la pêche à la mouche
Bill Fançois, La truite et le perroquet
Henry David Thoreau, Journal (Vol. 1)
Laurent Madelon, Plaisirs de la pêche en montagne,
René Hénoumont, Le jeune homme et la rivière
John Gierach, Là-bas, les truites...
Jacques-Étienne Bovard, La pêche à rôder
J. de Lespinay, Si vous prenez la mouche...
Sophie Massalovitch, Le goût de la pêche
Serge Sautreau, Le rêve de la pêche
Sean Nixon, Les Nuits du Connemara
Pierre Clostermann, La Prière du pêcheur
Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer.
Pierre Clostermann, Mémoires au bout d'un fil.
Pierre Clostermann, Spartacus l'espadon
Maurice Genevoix, Tendre bestiaire.
Maurice Genevoix, Rémi des Rauches
Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages
Pierre Perret, Les poissons et moi.
John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme
Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur
Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur.
Henry David Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison
Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites
William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger
Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.
René Fallet, Les pieds dans l'eau.
Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été.
Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,
Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche
Jim Harrison, Un bon jour pour mourir
Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.
Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.
Henri Bosco, L'enfant et la rivière.
Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.
John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.
Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.
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