Serge Sautreau, Le rêve de la pêche
Serge Sautreau, Le rêve de la pêche
LE RÊVE DE LA PÊCHE
...ou
Voyages,
secrets,
science,
art,
mystère
et passion
de la pêche à la ligne
...c'est-à-dire
L'EAU
LA NAGEOIRE
LA PÊCHE
L'INCONNU
Je viens de terminer les dernières lignes de ce livre, il paraît qu'un nouveau Président vient d'être élu au même moment. Pourtant, je le referme lentement en regardant la bibliothèque pour lui trouver une place d'évidence, entre La vie rêvée du pêcheur de Pierre Affre et Rêves de pêcheur de Jean-Pierre Comby ou bien entre Les pieds dans l'eau de René Fallet et Rémi des Rauches de Maurice Genevoix. Je ne sais plus très bien, il lui faudrait peut-être plus de place encore.
« Car vous n'êtes que de l'eau, et vous retournerez à l'eau ! » dit l'Inconnu,
Serge Sautreau.
« ... car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. »
Bible, Genèse. 3.19
Serge Sautreau fait don au lecteur d'une tentative d'interprétation, de compréhension poétique et littéraire de la pêche, de tout l'acte de pêche. Passant tour à tour par une relecture des grandes mythologies halieutiques, où l'on croise le biblique Noé et Samba Poulo, génie des eaux du fleuve, par un détour ethnologique chez les peuples de la grande boucle du Niger. Le taoïsme convoqué avec un Lao Tseu apprenant à Confucius l'art du bambou refendu noue conversation et non sans humour avec un poisson hypothétique tel que le Boojum de Lewis Caroll dans le poème La Chasse au Snark. On y croise encore un poisson bulle (la carpe), une « Perche du Nihil », cousine probable de la perche-soleil que l'on peut voir avant l'ombre (thymallus).
Mythologie drôle, presque loufoque dans un texte fluide toujours en mouvement dont on ne sait comment maintenir la lecture tant le tangage et le roulis sont forts, on s'enfonce dans le texte, on se noie, presque, et nulle poussée d'Archimède vient à votre secours, tant le trémail des phrases et des chapitres vous enserre. Balloté, bousculé même, vous voilà avalé par la narration comme Jonas par la baleine.
Et l'auteur de fabriquer une Nouvelle Bible, celle des eaux mystérieuses et de leurs poissons avec lesquels les hommes, les pêcheurs bien sûr, ont à voir.
« Si l'eau est l'origine, le poisson est secret, le leurre est vie,
et le pêcheur, présence. »,
Serge Sautreau.
Décrypter les mystères de la pêche n'est pas chose aisée. Les expériences si particulières de chacun font autant de parcours d'initiés, de révélations, de vérités, de chapelles et d'églises. Sautreau s'y essaie avec brio. Il passe en revue tous les actes de pêche, leurs significations éventuelles. Tente d'établir des lois, cherche le nombre d'or dans les référencements et les classements numériques dont le matériel de pêche est coutumier, avec parfois quelques lucidités sensibles (par exemple la définition de Swim hair que j'ai trouvée dans le Catalogue JMC 2012 p. 188 : « fibres longues et très fines, aux discrets reflets perles, et à la nage souple et onctueuse »).
Il s'arrête un long moment « Au cœur de la touche » pour en étudier la révélation et les possibles divinatoires. Il étudie « La marche du traqueur » du pêcheur à l'ultra-léger, ou de la pêche à rôder, véritable chasse du bord de l'eau (Hemingway et Genevoix n'étaient-ils pas d'éminents chasseurs ?) En revient à « L'envoûtement par la Mouche », quintessence de la pêche, qu'il évoque comme une sorte d'ésotérisme. On ne peut tout dire sur ces deux cent douze pages magnifiques qui deviennent plus littéraires lorsqu'il évoque l'Yonne rivière de mes premières aventures en barque.
« L'éphémère s'envole en soie qui fuse.
La volute est sa voie.
Le gobage son éclair. »,
Serge Sautreau.
Mais alors que dit la pêche de nous et du monde ? Un effacement, un renoncement au monde, un érémitisme naturaliste ? Serge Sautreau ne recule pas, sa pensée chausse les waders et il va toujours plus loin dans l'eau ou peut-être à la manière des saumons remonte-t-il le courant, fait sa montaison. La pêche ne dit que ce qu'on le veut voir. Ce sera tantôt la caricature du pêcheur du dimanche, vulgate des dessins de Daumier qui fit une certaine réputation ou bien encore le pêcheur élitiste, sorti d'une secte de chapeau à plumes, hermétique à tout autre chose que sa pêche. Sautreau avance quant à lui que la pêche est définie essentiellement par quatre éléments. C'est une métaphysique ou plutôt une sorte de kabbalistique des ronds dans l'eau, une théorie du remous, une mathématique des fluides de la particule liquide à la grande masse océanique. Une éthique que l'auteur définit fort bien : « que soit pêché sur le fil le plus fin, le poisson le plus fort. Si le poisson n'a aucune chance, nous sortons du domaine de la ligne ».
Une expérience, celle d'une philosophie naturaliste où le pêcheur entre le ciel et l'eau est un axe du monde et qu'il organise un cosmos à sa mesure. Enfin, elle est aussi une esthétique car la pêche est une recherche du beau, souvent poétique on le sait. Reste le poisson ! L'auteur lui voue un culte, c'est certain. Un culte d'amoureux transi, de dévot mystique, d'artiste peintre, de chamane en transe. La Nageoire est un étendard, une bannière pour l'Internationale des pêcheurs chère à Maurice Genevoix, elle est l'héroïne de bien des chansons de gestes. Et dans nos rêves, dans ces mondes enfouis en chacun de nous, remplis du murmures des rivières et du silence des lacs ouverts comme des grands yeux sur le ciel nous puisons la matière de nos imaginaires et de nos utopies.
C'est dans La route de Cormac McCarty, que j'ai déjà évoquée dans ce blog, que je veux chercher la conclusion de cette lecture. Certes, il s'agit d'un roman noir sur l'apocalypse. Mais à la toute fin du livre l'auteur fait se ressouvenir des temps anciens dans lesquels il y avait des truites : « Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. D'une chose qu'on ne pouvait pas refaire. Ni réparer. Dans les vals profonds qu'elles habitaient toutes les choses étaient plus anciennes que l'homme et leur murmure était de mystère ».
Chamane51 le 06/05/2012
(Article publié dans Naturellement pêche.info)
Liste des livres commentés:
Serge Sautreau, Le rêve de la pêche
Sean Nixon, Les Nuits du Connemara
Pierre Clostermann, La Prière du pêcheur
Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer.
Pierre Clostermann, Des poissons si grands. La grande pêche sportive en mer.
Pierre Clostermann, Mémoires au bout d'un fil.
Pierre Clostermann, Spartacus l'espadon
Maurice Genevoix, Tendre bestiaire.
Maurice Genevoix, Rémi des Rauches
Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages
Pierre Perret, Les poissons et moi.
John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme
Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur
Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur.
Henry David Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison
Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites
William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger
Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.
René Fallet, Les pieds dans l'eau.
Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été.
Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,
Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche
Jim Harrison, Un bon jour pour mourir
Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.
Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.
Henri Bosco, L'enfant et la rivière.
Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.
John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.
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