John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme
John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme, Coll. Nature writing, Éd. Gallmeister, 2011.
Encore un livre de Gierach traduit en français, c'est le troisième, et on ne remerciera jamais assez les Éditions Gallmeister. J'avais déjà évoqué Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche dans ce même blog et écrit tout le bien que je pensais de ce livre. Depuis, il y a eu Truites et Cie toujours chez le même éditeur. En lisant ce dernier livre, Gierach ne change pas et il garde ce style inimitable fait d'introspection, de contemplation, de bonheur simple, d'humour, de dérision même et de constante curiosité au sujet des choses de la pêche, des hommes et des truites en particulier.
C'est ça Gierach, on ne lâche pas son livre et on redoute d'aller trop vite en lecture et de se retrouver seul face à la quatrième de couverture. On y voit d'ailleurs une photo de l'auteur, la tête couverte d'un bob, il vous regarde par-dessus ses lunettes et semble vous dire « Alors on y va ? »
« Les pêcheurs à la
mouche sont une bande de péteux snobinards »,
d'après l'oncle Léonard dans Truites et Cie
de Gierach
Gierach
pêche à la mouche mais pas exclusivement, il pêche la truite aussi, mais pas
exclusivement non plus. Encore faut-il comprendre que lorsqu'il ne peut pas
faire ni l'un ni l'autre, c'est bien parce qu'il en est empêché ou qu'il ne
veut pas se montrer impoli. Gierach pêche à la mouche, mais attention façon Halford
(auteur d'un Floating flies and how to
dress them paru à Londres en 1886, considéré
par bien des pêcheurs comme la Bible de la pêche à la mouche) c'est-à-dire à la
mouche sèche, un point c'est tout ! Enfin, avec une canne en bambou
refendu tout de même... Après tout, le reste semble superflu, les querelles de
chapelles également. Mieux vaut prévenir ! Il n'y a rien à dire face à un
homme qui a reçu la révélation : « À un moment un imago de Red quill
de 16 atterrit sur le bord de mon verre de gin-tonic, et les choses
m'apparurent soudain dans une immense clarté ». C'est un esthète pas
compliqué, plutôt rustique, qui aime les endroits que les truites aiment. On
pense savoir pourquoi, même s'il peut y avoir des entorses aux principes
sacro-saints. L'auteur précise prudemment pour les pêcheurs qui lui
chercheraient querelle « Deux vénérables règles devraient
s'appliquer : 1. L'esthétique constitue un aspect crucial de la pêche, 2.
En cas de grosses truites la règle n° 1 peut être temporairement suspendue ».
Belle définition d'un certain style de vie.
« Je ne bois pas, je ne
me drogue pas, je ne joue pas
et je ne suis pas coureur de
jupons,
mais il faut que tu
saches que je pêche à la mouche »,
J. Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme.
Gierach défend la pêche, défend les truites, défend les rivières. Je ne sais pas si cela fait de lui un écologiste, il ne le revendique pas. Mais, on sent que les eaux vives, les eaux dormantes souvent celles du Montana, révèlent à l'homme ce qu'il est vraiment, quelque chose qui pourrait nager aussi librement qu'une truite peut le faire entre deux berges. La nature développe en l'homme un instinct de survie et révèle encore une fois les dangers de la civilisation telle qu'elle se développe. Dans la nouvelle Le braconnier, une histoire de pêche fictive, Gierach développe cette théorie avec Harvey, ce braconnier imaginaire à qui Gierach fait dire : « Je suis un chasseur-ceuilleur traditionnel qui exerce le droit que Dieu lui a donné de vivre des fruits de la terre ». Gierach prend ses distances avec un tel individu mais on devine aisément derrière ces paroles la philosophie de Walden de Henry David Thoreau, autre œuvre majeure du Nature writing américain. Ce dernier écrivait d'ailleurs dans son Journal en mars 1853 : « Sur la rivière mes droits naturels sont à peine entamés. C'est un bien commun sans limite ».
C'est l'autre avantage que l'on
éprouve à la lecture de Gierach, le sentiment de sentir un souffle de liberté
inaliénable au bord de l'eau, à la pêche. Alors, évidemment, ces lieux
magiques, si nécessaires à notre survie, Gierach les défend bec et ongles, que
ce soit dans le Montana ou sur la South
platte River dans le Colorado contre un projet
de barrage. On retrouve alors les préoccupations d'un John Mc Phee ou d'un
Edward Abbey dans la défense acharnée de l'environnement et le souffle d'un Jim
Harrison pour l'aventure humaine.
En
étant le défenseur inconditionnel de la cause des rivières, de leur
conservation et de leur devenir et d'un certain style de vie grâce à la pêche,
Gierach semble nous dire que la truite serait l'avenir de l'homme. N'en doutons
pas !
Chamane51 le 28/09/2011
(Article édité dans Le monde de la truite)
Liste des livres commentés:
John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme
Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur
Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur.
Henry David Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison
Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites
William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger
Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.
René Fallet, Les pieds dans l'eau.
Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été.
Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,
Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche
Jim Harrison, Un bon jour pour mourir
Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.
Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.
Henri Bosco, L'enfant et la rivière.
Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.
John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.
Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.
John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche
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