William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger

 

William G. Tapply, Casco Bay et Dark Tiger 

 


Un individu frappé par la foudre ne s'en sort jamais indemne. Pourtant Stoney Calhoun le héros de William G. Tapply s'en tire plutôt bien. Il continue de pêcher à la mouche, peut encore parler français, réciter des poèmes et embrasser et caresser une femme. 

Mieux, il a conservé son instinct et souvent, malgré lui, il doit enquêter sur des meurtres. Le Maine, Nord-Est des États-Unis, un pays de bois, de lacs et de rivières peut tout aussi bien abriter des meurtriers, ils y ont même un terrain de jeu plus confortable qu'ailleurs...

 

« On peut pêcher des saumons et chercher des cadavres en même temps.

Y a pas beaucoup de pêcheurs qui ont l'occasion de faire ça ».

William G. Tapply, Dark Tiger.

 

Stoney Calhoun, même si une bonne partie de sa mémoire s'est évaporée, a conservé un instinct de chasseur comme Ralph son chien, un épagneul breton qui adore tout autant honorer les buissons en levant la pate que partir à la pêche. On peut même dire que c'est un excellent chien de pêche, c'est assez rare pour être souligné et un chien de pêche doué c'est tout de même plus sympathique qu'un écho-sondeur  haut de gamme... Stoney tient un petit magasin de pêche avec Kate Balaban, une femme à la longue chevelure brune avec dans les veines le sang des Indiens Penobscot (les Pentagouets du Canada français), qui deviendra sa femme et qui, dans le Maine, est une véritable légende dans le monde de la pêche. Ils fabriquent des mouches (des Dark Tiger ou des Gray Ghost), des streamers, et guident des clients sur les lacs et les rivières. L'univers sensible de Stoney c'est la nature. Stoney au milieu du Maine passerait donc bien son temps dans les bois, sur l'eau ou bien encore à la pêche. C'est toujours avec une certaine appréhension qu'il voit arriver le shérif dans Casco bay ou l'homme en costume dans Dark Tiger pour lequel il devra enquêter sans avoir vraiment le choix. William G. Tapply lui donne vraiment beaucoup de travail. 

Des cadavres flottent, coulent à pic, d'autres sont carbonisés, noyés. On trouve des avocats, des truands, des trafiquants, des femmes, des aviateurs interlopes et même un prof d'histoire un peu trop curieux. Ils constituent une faune humaine que l'on trouve plus souvent dans les villes et dont le microcosme semble corrompu et déréglé. Au fil du temps, on en apprend un peu plus sur Stoney Calhoun, son passé ressurgit par bribes sans dévoiler l'essentiel. Pas bavard, il reste secret et mystérieux et toujours étonné du monde comme il va.


« J'ai un chien qui m'aime, une femme qui m'aime.

J'ai ma petite cabane dans les bois et j'ai ma rivière à truites, là derrière ».

William G. Tapply, Casco Bay.

 


William G. Tapply campe un héros solitaire, prisonnier de son amnésie et qui cherche son salut dans les choses simples de la vie, dans les bois ou à la pêche. Une nature qui parle à l'homme et le révèle meilleur par la sagesse qu'elle peut inspirer. Nous sommes dans le Maine et ressurgit toute une poésie américaine inspirée par cette nature. Les aurores sont semblables à la création du monde et les crépuscules préparent des forces nocturnes et secrètes. Il y a un espace-temps si particulier, si concentré, une source d'inspiration si forte que l'on peut tout autant ranger les thrillers de Tapply dans la catégorie Nature writing

On rencontre Robert Frost, poète du moi solitaire et de la nature, le philosophe Ralph Waldo Emerson (d'où le nom du chien de Stoney) dont l'auteur semble avoir usé une formule qui définit assez bien son héros : « Qu'un individu isolé se fie à son instinct et s'y tienne, le monde entier finira par se ranger à ses côtés... » On rencontre aussi Walt Whitman ou Henry D. Thoreau, merveilleux auteur rebelle à toute forme d'autorité, qui fit de l'isolement et de la survie dans la nature, celle du Maine justement, une expérience philosophique et poétique. William G. Tapply cite également ses amis comme Mel Krieger grand pédagogue de la pêche à la mouche (auteur de The Essence of Flycasting) ou Nyck Lyons, pêcheur à la mouche et auteur prolifique également qui a publié un The Gigantic book of fishing stories de 793 pages entièrement dédiées à la pêche à la mouche et qui préfaça le dernier livre de Tapply, Every Day Was Special: A Fly Fisher's Lifelong Passion.

 

« Puis il se remettrait à guider des pêcheurs, à monter des mouches...

Merde, la vie est trop courte... ».

William G. Tapply, Casco Bay.

 

Henry D. Thoreau, si cher à William G. Tapply, écrivait : « Le temps n'est que la rivière où je m'en vais pêcher. Je bois son eau ; et tout en buvant, je vois le fond sablonneux et remarque comme il est peu profond. Son faible courant entraîne toutes choses, mais l'éternité demeure »

William G. Tapply est mort le 28 juillet 2009 affaibli par une longue leucémie. Son dernier livre s'en ressent mais il reste un auteur qu'il faut absolument découvrir pour la qualité de ses thrillers, la pêche et cette sensibilité subtile que l'homme peut éprouver dans une nature préservée.

E.-A. Morell

Liste des livres commentés: 

William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger  

Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.  

René Fallet, Les pieds dans l'eau.  

Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau  

Justin Cronin, Quand revient l'été.  

Les Ardennes à fleur d'eau  

Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,  

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche 

Jim Harrison, Un bon jour pour mourir  

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.  

Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.  

Henri Bosco, L'enfant et la rivière.  

Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.  

John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  

John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche

 

 

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