Cormac McCarthy, La route

 


McCarthy,
La route, Éditions de l'Olivier, 2008 (2006)

On ne sort pas indemne de la lecture du livre de Cormac Mc Carthy. Son univers est celui délabré d'une fin du monde provoquée par un cataclysme qu'on peut supposer atomique. Pénombre des demi-jours plombés par des nuages opaques, obscurité des caves, noirceur des nuits sans bruit, où la lueur chancelante des bougies des survivants contraste à peine avec le froid d'un hiver nucléaire.

 

La surface de la terre n'est plus qu'un tapis de cendres volatiles où l'on devine les lacets d'une route sans fin. Les rivières charrient des boues anthracites, des grumeaux charbonneux s'agglutinent en grappe et dévalent dans les ruisseaux. La terre suinte la mort.

 

« Et il tomba du ciel une grande étoile ardente comme un flambeau ;

et elle tomba sur le tiers des fleuves et sur les sources des eaux. »

Apocalypse 8.10.

 

On y croise des hommes, des femmes, des enfants. Plutôt des fantômes aux corps faméliques, haves, titubants, parfois torturés et dévorés. Des processions folles traversent le paysage, des danses macabres hallucinées d'horreurs s'inscrivent sur la rétine du lecteur. Pas de couleurs, pas de lumières, pas d'espoir. Même l'encre du livre s'efface en nuée sale sous les doigts...

 

Un père et son enfant poussent un caddie. Dérisoire au milieu de l'apocalypse, ils le remplissent et le vident au fil des trouvailles et des pillages. Unique trésor, relief d'un âge d'or oublié. Peut-être le caddie de la Supermarket Shopper de Duane Hanson, une figure de cire au regard vide pousse un caddie plein de nourriture. Nihilisme de la société de consommation qui s'autodétruit en arrachant à la terre et aux eaux de quoi rassasier actionnaires et consommateurs.

 

Après tout, bien des sociétés ont disparu de cette manière en épuisant les sols et les eaux vives : les Polynésiens de l'île de Pâques, ceux des îles Pitcairn et Handerson, les Anasazis d'Amérique, les Vikings du Groenland. Tous prirent des décisions qui, dans leur environnement, provoquèrent leur perte. Et cela raisonne étrangement avec le cataclysme sismique et nucléaire que nous vivons tous avec le Japon. Sommes-nous en train de dessiner le monde que dépeint Cormac McCarthy ?

 


« Au moment critique où il saisit la mouche, lorsqu'il atteint l'apogée de sa trajectoire, le poisson semble flotter dans l'air, et, tandis qu'il demeure ainsi figé dans l'espace, sur ses flancs ruisselants et cambrés, durant un bref instant, on peut voir se refléter l'image du monde inversé. »

 Jean-Paul Dubois à propos de Robert Lalonde, Le monde sur le flanc de la truite.

 

Il me semble que nous en prenons furieusement la route et malheureusement en accélérant. Pourtant, c'est sur la route de Seney et son paysage de cendres que Nick Adams héros d'Hemingway dans La Grande rivière au cœur double retrouve la vie en remontant la rivière. Il y trouve des truites, magnifiques, combatives, il a « un coup au cœur » et redevient lui-même parce qu'il a retrouvé dans le jardin d'Eden assez de résilience pour dépasser les souffrances et les blessures endurées sur le front italien durant la Première Guerre mondiale. Mais ce n'est pas le cas avec Cormac McCarthy. Le paysage reste de cendres, celles du deuil et de l'ensevelissement. Le père meurt d'épuisement laissant son fils seul. Mais pour autant, la lutte pour la vie ne tolère aucune résignation. Peut-être est-ce la force de ce roman.

 

Car l'auteur dessine magnifiquement à la fin cette vitalité lorsqu'il peint un paysage de lumière dans lequel coule une rivière aux reflets étincelants. Il y a des truites : « Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. D'une chose qu'on ne pourrait pas refaire. Ni réparer. Dans les vals profonds qu'elles habitaient toutes les choses étaient plus anciennes que l'homme et leur murmure était de mystère. » C'est bien de cela qu'il s'agit lorsque sur les écailles tachetées de la truite on peut apercevoir le reflet d'un monde inversé. Non pas le sien propre mais son devenir plus certainement. Un devenir qui n'échappe pas à son milieu, qui n'échappe pas à son environnement, à son paysage, ni même à son intelligence.

 

L'impératif de survie est là, simplement, mais tout entier. Le rêve d'un autre monde (puisqu'il semble presque perdu maintenant) est présent, essentiellement, pourrait-on dire dans la libre rivière, scintillante, translucide, dans laquelle la truite parée de ses écailles colorées dessinant des entrelacs de couleurs, devient un signe d'espoir, une enluminure prometteuse.

Chamane 51 le 20/03/11

 Liste des livres commentés: 

William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger  

Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.  

René Fallet, Les pieds dans l'eau.  

Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau  

Justin Cronin, Quand revient l'été.  

Les Ardennes à fleur d'eau  

Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,  

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche 

Jim Harrison, Un bon jour pour mourir  

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.  

Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.  

Henri Bosco, L'enfant et la rivière.  

Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.  

John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  

John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche

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