René Fallet, Les pieds dans l'eau.
René Fallet, Les pieds dans l'eau, Cherche Midi (8 avril 2010)
Mais qui connaît René Fallet aujourd'hui ? Quelques édiles municipaux ont bien donné son nom à des rues, des places voire, par une sorte de consécration, à un boulevard et parfois même à une maison de retraite.
René
Fallet est oublié, hélas ! Soldé en livre de poche, écoulé en stock vers les
brocantes ou le marteau pilon. Pourtant, il demeure un livre, peut-être le
seul, régulièrement réédité. Ce livre existe et ne meurt pas parce qu'il y a
des livres qui aident à vivre, à supporter le présent, l'hiver, l'ennui, les
postillons des autres et même les autres. Ce livre vous emmène au bord de l'eau
en vous tapotant l'épaule, en vous appelant dans le creux de l'oreille, en vous
prenant par la main parce qu'aujourd'hui -c'est sûr- ça va mordre. Ce livre est
une merveille, ce livre est un chef-d'œuvre de chevet, de bibliothèque, de
coffre-fort, il faut l'envoyer dans l'espace et reconnaître sa lecture comme un
droit intergalactique. Les pieds dans l'eau
de René Fallet, que son nom soit sanctifié, jouez hautbois, résonnez musettes !
René
Fallet, c'est l'auteur du Triporteur, Les vieux de
la vieille, du Beaujolais nouveau est arrivé, de La soupe aux choux, et de bien d'autres livres encore, sans compter les
prix littéraires dont un prix populiste pour avoir préféré, dans ses romans,
les gens du peuple. Mais c'était surtout un pêcheur. Un écrivain pêcheur qui
aimait les poissons, les rivières, les étangs et ses amis. C'est déjà bien, non
?
« A la pêche ? Le pauvre homme !
Il lui faudrait une femme pour
lui changer les idées... »
dixit maman Turlutte au comptoir du Café du Pauvre,
rue Maurice Thorez à
Villeneuve-Sur-Marne,
Beaujolais nouveau est
arrivé.
Les
femmes et les pêcheurs ne font pas bon ménage, on le sait et quelque part cela
peut se comprendre, quoique ! René Fallet fait très fort. Il découvre la pêche
l'année de son mariage et entre le creux du lit ou celui de la rivière, le
tendron ou la truite, son cœur a balancé et les écailles ont souvent pesé plus
lourd que la chair et le poil, si on m'autorise... Dans Paris au mois d'août
il fait rêver l'un de ses héros « Il imaginait leurs rivières, leurs coins
préférés...où courait l'eau fantastique, l'eau qui avait tant couru sur leur
lit quand ils songeaient à elle ». L'année de son mariage, en 1956, il écrit
dans ses carnets de pêche (il a 29 ans) : « Je suis né à la pêche à cette
époque là ». Une naissance même tardive est toujours un moment miraculeux et
Fallet s'amuse au lancer léger le long de sa rivière, la Besbre, près de
Jaligny en Bourbonnais.
Autant
que l'amour, les amis comptent. Fallet a pour ses copains pêcheurs une fidélité
sans faille. Une fraternité forgée dans les rites de la pêche, du lever tôt au
rentré tard, de la bredouille ou du beau poisson mis à l'épuisette, de l'averse
que l'on partage comme le flacon surtout s'il est au frais, dans l'eau. Ces
amis-là sont sacrés et dans Le Beaujolais
nouveau est arrivé, Fallet leur tire sa casquette,
bien haut : « Faudra toujours qu'on pêche tous les quatre. Même s'il y a plus
d'eau du tout... », c'était en 1975. Un an plus tard, dans Le Figaro, il écrit
encore dans un article paru le 26 décembre (joli cadeau) : « Malgré le froid,
malgré le remake de Stalingrad... nous étions heureux... illuminés d'amitié...
Nous chantions sous la neige. Nous étions des hommes. Des vrais. » René Fallet
a les amis et la pêche dans la peau. Dans un article de Toute la pêche
(mensuel n° 34 de mars 1965, vendu deux francs de France, page 22) il répond à
notre Maman Turlutte de toute à l'heure : « Ce n'est pas sur les berges que je
suis « un autre homme ». C'est quand je n'y suis pas ».
« ... il s'arrêta, tira le
pistolet de sa ceinture se pencha sur le brave saumon,
et lui tira à bout portant
deux balles dans la tête.
Ce qui n'était pas joli, joli
on en conviendra. » René Fallet,
Guide Julliard de la pêche de J.-M. Soyez, 1966 (p. 6).
C'est avec cet exemple très littéraire extrait de Kaputt de Malaparte (René Fallet cite également André Maurois dans les Silences du colonel Bramble dans ce même guide) qu'il prend la défense des poissons. Des spectacles désolants des pollutions industrielles où le petit peuple des rivières flotte le ventre en l'air en de longues cohortes nauséabondes, génocidés en masse par les « Borgia des usines » au « nom sacré de l'Expansion », René Fallet dénonce. Il dénonce pour son époque et la nôtre, la mainmise industrielle et agro-industrielle sur les eaux vives. Il dénonce aussi le pêcheur (donnons lui encore ce nom) indélicat qui pêche pour rembourser le prix de sa carte, le coût du matériel et se venger du reste.
Pourtant, René Fallet ne rechigne pas de temps en temps à prendre un brochet, une truite, mais il le fait honnêtement, proprement parce qu'à la manière de John D. Voelker les poissons « ne mentent ni ne trichent » et qu'ils sont de bons compagnons et parfois, en cachette, il les embrasse. Il fait même dans Les pieds dans l'eau une apologie de ses amis : le brochet comme celui du 5 janvier 1966 « le monstre du Bâti Guilloteau » qui lui vaudra un article dans Toute la Pêche du mois d'avril (n° 47, p. 33), la truite à la mouche ou à défaut le chevesne (appelé aussi meunier), la carpe à la patate (appelée aussi pomme de terre) en passant par une petite apologie du gardon, « ce Français moyen des poissons... plus prolifique que s'il touchait les allocations familiales ». René Fallet ne dédaigne pas la pêche au coup, même s'il préfère la pêche à la mouche « la Formule 1 de la pêche. ». Il pêche tout simplement, sans ostracisme ni sectarisme.
« Echo, parlant quant bruit on
mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus
qu'humaine ?
Mais où sont les neiges
d'antan ? »
François Villon, La Ballade des dames du temps jadis.
Et
pourtant, il y a dans son livre une mélancolie qui ruisselle doucement entre
les pages comme celle de la poésie de François Villon que René Fallet cite et
que chantait Georges Brassens son ami. Il s'imagine tel le tombeau d'un gisant
sur les bords de la Besbre, la rivière lui léchant les semelles, il se voit en
fantôme pêchant les ombres du Dessoubre. Il sait que la vie passe, trop vite,
et que les rivières, les étangs garderont malgré tout leurs parures, leurs
lumières, leurs mystères, sans lui. Contrairement à Hemingway pour qui Nick
Adams dans La grande rivière au cœur
double renaît à la rivière, la fuite du
temps chez Fallet se transforme en une nostalgie plus cruelle : « La vie est
plus courte que cette truite qui n'atteint pas la taille réglementaire ».
Alors
oui, justement, il faut lire sans tarder Les
pieds dans l'eau, puis le relire, à rebours, à
l'envers, les pieds au plafond, dans le plat et même dans l'eau. Ou, peut-être,
à la manière des bibliomanciens des temps révolus, fermez les yeux et en
retenant votre souffle, ouvrez le livre au hasard et posez votre index sur la
page et lisez. Je m'amuse et je tombe sur : « Car il ne s'appelle pas Simone,
mon amour, ni Jacqueline...encore moins Gustave, il s'appelle la Besbre. Ma
rivière. »
J'essaie
une nouvelle fois pour voir, j'ouvre les yeux et je lis : « Seul le pêcheur
sait le goût exact du matin, le goût du pain et celui du café de l'aurore. Il
a, seul, ces privilèges exorbitants. Né subtil, il n'en parle pas. Il garde
tout cela pour lui. C'est un secret entre le poisson et lui, l'herbe et lui,
l'eau et lui. »
Roger Blachon (Illustrateur) |
Liste des livres commentés:
Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été.
Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,
Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche
Jim Harrison, Un bon jour pour mourir
Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.
Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.
Henri Bosco, L'enfant et la rivière.
Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.
John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.
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