Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.

 

 Histoire d'ombres, Hervé Jaouen Les éditions de la Chapelle (12 mars 2004)

 

 


Il y a bien des fois où l'on s'amuse avec les eaux des rivières et des ruisseaux, on les trouve riantes, et lumineuses, on parle de chants et de cascatelles et tout semble gai et facile. On oublie vite que l'eau peut tuer ou qu'elle peut servir à le faire et que les rivières peuvent devenir un bon mobile pour un crime, même à la pêche.


« Elle avait lancé cette boutade : pars pêcher à la ligne »

Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.


Quand on ouvre Histoire d'ombres d'Hervé Jaouen, on ne s'attend pas à commencer par la fin et c'est un peu déstabilisant pour qui est habitué à se lever tôt et à se coucher bien après le coup du soir. Nous sommes à l'Auberge de la truite de Lomont sur les bords du Doubs pour une histoire de pêche. Ralph Bachkine est venu là pour pêcher ou plutôt pour y voir plus clair et tenter de faire le point sur son couple. Sa femme lui avait dit avec une sorte de désinvolture et de défi mêlés, « pars pêcher à la ligne ». Une proposition que l'on ne doit jamais faire à un homme, du moins si l'on tient à lui, et d'ailleurs une proposition pareille ça ne se refuse pas. L'Auberge a le confort honnête d'une bonne chaumière et on peut rencontrer toutes sortes de pêcheurs : ceux qui arrivent dans la salle de restaurant avec leurs cuissardes et qui pêchent la truite aux vers (roulant en break GS Citroën), le petit vieux organisé toujours accompagné par sa femme elle-même accompagnée par son chien, vrai collectionneur de mouches montées par ses soins (en CX Citroën), le jeune cadre dit dynamique avec un matériel hors de prix (en coupé Alfa Roméo Gran Tourismo Veloce), un riche industriel pas prétentieux (en Jaguar forcément) et Nina sa femme. Nina, elle, ne pêche pas, oh non ! Elle harponne à la fouëne à trois dents les hommes qui passent trop prêt. Elle a le sourire pointu comme l'hameçon, le rouge à lèvres ardillon, le clin d'œil coup du soir-coup d'un soir, l'entre-jambe façon dubbing brésilien en lapin. Elle est rousse et ses jupes sont trop courtes. Elle aime le soleil sur sa peau, se promener nue et s'allonger nue dans l'herbe. Bref, elle n'est pas du genre à pratiquer le no kill !

 

« Je finirai en beauté à la pêche, avec des truites dans mon panier. »

Hervé Jaouen, Histoires d'ombres.

 

Bachkine est venu là à la pêche et les rives bucoliques du Doubs ce n'est pas Monaco, Cannes ou Saint-Trop. Il a le sens de l'eau et assez d'instinct pour dénicher les truites, « deux qualités qui priment sur le matériel ». Il se lie d'amitié avec Bloch, le mari de Nina. Tous les deux partent à la pêche et discutent de la vie, comme les hommes le font après quarante ans. Les bords du Doubs sont agréables, les truites mordent sur des mouches nouées à des bas de ligne de 14 ou 12 centièmes et tous les soirs Nina est là virevoltant autour de Bachkine comme une mouche de mai en lui murmurant aux oreilles « Tue-le...Tue-le...Tue-le... ». Les trois personnages nouent entre eux des relations distordues, avec des non-dits, des actes manqués qui les enserrent dans un drame comme un nœud de trèfle, le seul nœud que l'on ne peut dénouer sans en couper un brin... Bachkine et Bloch vont donc pêcher sur le Doubs au lieu-dit La Goule non loin de la Suisse. Ils montent des sedges sur un bas de ligne de 18 centièmes cette fois-ci. Les pluies de la veille laissent présager un agréable moment. En effet, des truites de cinq livres se laissent prendre. Dans le courant la bataille est rude, elle forge l'amitié entre les pêcheurs et le mouvement des cannes cadences le temps comme les aiguilles d'une horloge « Nous avions oublié le temps. La nuit tombait et il ferait noir dans quelques minutes ». Lorsque d'un seul coup, dans l'obscurité la plus totale, le niveau de l'eau se met à monter « la rivière n'était qu'une masse noire. Une tombe ouverte. » Bloch se noie emporté par le courant. Restent Bachkine et Nina. Le mobile paraît évident et l'arme du crime est la rivière!

 

Mais est-ce si simple ? Comment échapper à l'évidence ? « La vie est fumée et la mort est son ombre » indique Hervé Jaouen en exergue de son roman. Bachkine n'en a pas fini, doublé par son passé et Nina qui le poursuit.

 

Chamane 51 le 10/02/11

Liste des livres commentés: 

René Fallet, Les pieds dans l'eau.  

Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau  

Justin Cronin, Quand revient l'été.  

Les Ardennes à fleur d'eau  

Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,  

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche 

Jim Harrison, Un bon jour pour mourir  

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.  

Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.  

Henri Bosco, L'enfant et la rivière.  

Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.  

John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  

John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche

 

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