Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites

 




 Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites, Ed. de Fallois, Paris, 2008.

 

Maurice Toesca, Rêveries d'un pêcheur solitaire, Le chant du ruisseau, Ed. Albin Michel, Paris, 1957.

 

Le hasard fait souvent bien les choses. Ces deux livres m'ont permis de patienter alors que les rivières et les lacs m'étaient interdits. Que peut-on faire de mieux ? Consulter les catalogues et leurs dernières nouveautés ? Faire des mouches ? Visiter des rivières mythiques en 3 D sur Géoportail ?

 

Les livres offrent la possibilité de faire tout cela dans son fauteuil et peut-être bien plus car ils ouvrent une porte qui est celle des mondes imaginaires. Donc Bennassar l'historien minutieux à la mémoire d'archiviste et Toesca romancier rousseauiste arpentent les rivières, les ruisseaux et surtout pêchent leurs truites.




 

« Je donne à mon ruisseau un chant intérieur,

une sorte d'âme qui n'est peut-être que l'écho de la mienne », 

M. Toesca. 

 

Ces deux auteurs ont d'abord été frappés par la beauté des cours d'eau encore sauvages. Toesca s'enchante romantiquement, Bennassar découvre émerveillé. L'un à pied, l'autre par les cartes et le vélo dans sa prime jeunesse. La rivière est propice à l'aventure, c'est le monde des limites et du fluide, changeant en fonction des masques de la nature. Les robinsonnades ne sont ainsi jamais les mêmes. Bennassar s'attache beaucoup aux cartes dont la lecture est « un premier plaisir, parfois source de révélation ». Il est vrai qu'aujourd'hui un coup d'œil sur le site de Géoportail dans sa fonction 3 D offre de quoi passer des soirées entières à rêver où se cachent les poissons, à deviner une progression loin des habitations et des routes, des tactiques possibles, découvrir des paysages qui nourrissent la mémoire, l'imaginaire et la frustration. Combien de vie faudrait-il pour les explorer ? Combien pour connaître intimement ses cours d'eau « le sang vif de toute la terre » selon Toesca ? En nous coulent les rivières, à travers nous, lorsque nous sommes « les pieds dans l'eau » pour reprendre le beau prélude de René Fallet. Le monde des eaux vives mais aussi celui des eaux dormantes ne sont pas seulement des univers contemplatifs car ils irriguent  les songes, les rêves et la volonté de les accomplir malgré la fuite du temps, le caractère fugitif de ce moment de plénitude.

 

 

« Nous avions risqué l'aventure parce que la réponse à la question essentielle nous avait été donné d'emblée : il y avait des truites », 

B. Bennassar.

 

La pêche de la truite dans les années 1945-1970 est scandaleusement celle de l'opulence, de la richesse halieutique. Les auteurs ne comptent plus les prises, remplissent les glacières, étalent les trophées sur les cailloux au bord de l'eau ou empalés sur une branche. Ils pêchent à la volante avec une  mouche domestique, une sauterelle capturée à la fraîche, une fourmi ailée, à la mouche et parfois même au toc avec un vers. Le nombre de prises paraît si étonnant (Bennassar tient précisément des carnets de prises en nombre, poids et taille) qu'on se demande s'il s'agit de la France que l'on connaît ? Toesca fait même l'éloge du braconnier pour son instinct et sa témérité, nous ne sommes pas loin d'un Rémi des Rauches de Genevoix. Bennassar en 1984 (première mention) relâche trois truites sur... vint-quatre et semble étonné de son geste gracieux.  Plus loin, il écrit : « A chaque prise je me disais, il faut t'arrêter, tu ne vas tout de même pas dévaster ce ruisseau. Mais je ne pouvais pas me résigner. Je me disais ça ne t'arrivera plus jamais, tu pourras le raconter dans vingt ans... » Vingt ans plus tard, en effet, nous pouvons pleurer sur certains de ces cours d'eau et sur l'état des rivières, et les pêcheurs sont loin d'être les seuls responsables !

 

« Il y avait toutes les truites perdues et toutes les truites prises, les glissades et les bains forcés, le ciel noir et la cavalcades des nuages »,

 B. Bennassar 

« Je vais suivre un chemin de solitude animé par le langage du ruissellement »,

 M. Toesca

 

Bennassar et Toesca ont des souvenirs de rivières qui sont des langueurs, des spleens d'un temps édénique et qu'ils nous disent révolu.

 

Gardon le Chassezac ; Chère Maronne ; Ornans miroir Ô Loue; Dourbie mon Adour; Rigole du Diable; Baïse et Bèze encore...

 

Tant de rivières dont les noms sonnent comme des appels d'angélus. Sonnailles des mots fluides et rocailleux des rivières de France. Nos drapeaux de lumière et d'eau caracolant des flancs des montagnes, dans les drailles et les gorges, sinueux, ondulant comme la soie dans les plaines et les prés. Elles méritent l'attention, la passion, la violence même à les défendre, corps et âme. La petite patrie de l'eau vive.


Liste des livres commentés: 

Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Mémoires d'un pêcheur de truites  

Cormac McCarthy, La route  

William G. Tapply, Casco Bay / Dark Tiger  

Hervé Jaouen, Histoire d'ombres.  

René Fallet, Les pieds dans l'eau.  

Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau  

Justin Cronin, Quand revient l'été.  

Les Ardennes à fleur d'eau  

Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,  

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche 

Jim Harrison, Un bon jour pour mourir  

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.  

Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.  

Henri Bosco, L'enfant et la rivière.  

Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.  

John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  

John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche

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