Justin Cronin, Quand revient l'été.

 Justin Cronin, Quand revient l'été, Livre de poche, 2009


 
Justin Cronin est un jeune auteur américain qui connaît un joli succès en ce moment. Son roman se déroule dans le Maine dans le nord-est des États-Unis près de la frontière canadienne. C'est un pays de bois, de lacs, de rivières. Un pays assez vaste pour trouver refuge et tenter d'y refermer les cicatrices de la vie et des guerres, pour y cacher les déserteurs en transit, une sorte de Walden à la Thoreau avec par-delà la frontière canadienne des Québécois pacifistes accueillant les blessés du « capitalisme belliciste » comme le précise l'auteur. Les âmes meurtries, les corps estropiés trouvent donc dans ces paysages le ressourcement vital. « Il ferma son œil valide et ce qu'il vit alors ce fut un lac, et des montagnes, et des cours d'eau... 

Était-ce le Paradis ? » Hemingway pourrait dire que cela y ressemble sacrément ! Effacer les ruines et les cendres, essayer d'oublier les malheurs et les souffrances du XXe siècle pour se plonger dans une nature sublime, monde pur pour une vie pure, renaissante et nouvelle comme dans La grande rivière au cœur double. On peut penser que Justin Cronin rend hommage au grand maître d'autant que les embarcadères de Key West ne sont pas loin et que la pêche de la truite est omniprésente.

 

«J'écris pour cesser de savoir et 

pour commencer d'apercevoir et de sentir » 

Robert Lalonde, Le monde sur le flanc de la truite.

 

Quand revient l'été se lit comme un cycle, la grande roue de la vie qui tourne avec plus ou moins de fortune et de bonheur. Chacun des protagonistes prend la parole, évoque ses sentiments et ses blessures secrètes. Parce que lorsque l'été revient, c'est la belle saison, celle chantée par le Québécois Robert Lalonde dans Le monde sur le flanc de la truite, celle qui sonne le cycle florissant des grandes ardeurs si promptes à s'éteindre avec « le chant fluté des grillons » en prélude insouciant des froidures à venir. Et la lumière des lacs, « des ciels tombés dans leurs miroirs ». La saison où par la beauté sublime des paysages, les parfums huileux des forêts, la lumière aveuglante puis ô combien crépusculaire du coup du soir, les sentiments se dénouent et se révèlent enfin, nus et vrais. Ils sont donc réunis dans ce vaste domaine de pêche, les habitués, les touristes étonnés, les passionnés, avec parfois dans la poche un exemplaire du Parfait pêcheur à la ligne d'Isaac Walton, ceux qui ne jurent que par le bambou fendu ou le graphite, la cuiller d'argent ou la dorée, la mouche sèche ou la mouche noyée. Ceux qui cherchent leur Moby Dick à la manière de William Humphrey. Il y aussi Jordan et Harry.

 

Jordan. Il est un jeune homme qui ne se pose pas de question. Plutôt que de partir pour un ashram en Inde, il a préféré répondre à une petite annonce pour devenir guide de pêche. Guide de pêche est un métier comme un autre, enfin le labeur s'efface devant la passion alors on ne sait jamais si c'est un vrai métier. D'ailleurs, ses clients lui demandent souvent ce qu'il fait « à part ça » et lui de s'excuser en affirmant qu'il n'est pas un fainéant, qu'il connaît bien le lac autant que ses poissons et qu'il fait bien d'autres choses.

Harry, c'est Harry Wainwright, un magnat de l'industrie pharmaceutique, riche, très riche. Il a acheté le domaine de pêche, autant pour lui éviter la faillite que pour se faire plaisir. Chaque été, il revient là, pour la pêche mais aussi parce qu'au fil des saisons se sont joués des passions et des sentiments longtemps gardés secrets et dont le dénouement ne se révélera qu'à la fin du roman, au dernier été.

 

 

«Je reconnus le son – le son du poisson qui rêve, 

demi jour dans un plan d'eau calme 

en amont de quelques rochers... » 

Barry Lopez, Le chant de la rivière.

 

Harry va mourir, rongé par un cancer, il n'est plus que l'ombre de lui-même. Pourtant, il veut passer son dernier été au domaine de pêche. Il veut pêcher une dernière fois, prendre une dernière truite. Jordan l'emmène, emmitouflé dans des couvertures avec sa canne à lancer posée à côté de lui, dans un endroit qu'il connaît bien pour tenter la chance sur le coup du soir : « Le lac avait pris des tons bleu-noir profonds, la même teinte que le ciel, et partout, autour de nous et au-dessus de nous avaient éclos les étoiles, dans le crépuscule.... Puis cela se produisit : autour de nous brusquement, une immense effervescence, comme si les étoiles s'étaient soudain libérées de la gravité et jaillissaient de l'eau. Une éclosion....Nos cannes gisaient au fond de la barque, devant nous, hors d'atteinte abandonnées. Ca n'avait aucune importance. Nous flottions au milieu des poissons. »

 

Ils sont donc tous les deux, épaulés l'un à l'autre dans le petit antre creux de la barque. Des lumières fantômes abaissant le ciel dans le lac, noyant les étoiles renversées, faisant surgir du lac une lumière d'outre-monde pour le dernier souffle d'Harry. Le crépuscule est alors une entrée dans l'ombre ô combien extatique, dans un monde infini, presque hors du temps et finalement un murmure apaisant, une douce révélation aussi, où dans les dernières lueurs se mêlent l'eau du lac et le ciel, les étoiles et les poissons.

 

Le roman de Justin Cronin est d'une grande sensibilité, celle qui vous touche au plus profond et qui vous amènera au bord de l'eau avec votre canne, quelque peu changé.

 

Chamane51, le 22/09/2010

Liste des livres commentés: 

Les Ardennes à fleur d'eau  

Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,  

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche 

Jim Harrison, Un bon jour pour mourir  

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.  

Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.  

Henri Bosco, L'enfant et la rivière.  

Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.  

John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  

John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche

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