Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.

 

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche. Quai des Plumes, La vie du rail, Octobre 2009

 

On se demande avec qui Vincent Lalu a le plus de conversation ? Les femmes ou les truites ? Peut-être que pour gagner du temps, car les unes et les autres en réclament avec une exigence certaine, l'auteur a imaginé qu'elles étaient l'une et l'autre dans le même instant. Belle prouesse en effet. D'aucun y verra de la magie noire dans les eaux limpides, d'autres un fantasme « d'halieutomane » littéraire. 


Le monde de Lalu, c'est le Pays des merveilles. L'espace et le temps sont chamboulés, le coup du soir vaut pour une éternité. Les truites sont douées de parole, les femmes se métamorphosent en truites et elles continuent de parler bien entendu. L'une d'elles, Irlandaise et rousse incandescente, se prête corps et âme à la fabrication de mouches fatales. On y rencontre une vache bavarde, un rien sévère sur le no kill, probablement une vache de réforme, qui voit le temps et les pêcheurs passer au fil de l'eau. De coïncidences en concours de circonstances, on croise des pêcheurs plus drôles les uns que les autres, des poètes (l'auteur lui-même), des ombres dont le gobage, « un baiser sous la surface », est signe de vie et remerciement au Créateur, des saumons dont la montaison séquano-dionysienne est un parcours d'obstacles qui vaut bien une pause salvatrice chez une tanche docteure et psychanalyste. Parmi tous les voyageurs anadromes, le saumon est certainement celui qui a le plus besoin de s'allonger sur le divan. 

Lisez la prière du saumon dans La rivière aux lucioles (p.182-183), dont la dernière phrase vous ferait renoncer irrémédiablement à la pêche ou choisir définitivement la graciation des poissons. Plus légères, des truites philosophent et devisent, et de temps en temps se font prendre. Certaines mêmes alors qu'elles sont mortes et cuites dans l'assiette parviennent à transformer le souper annuel de pêcheurs (tous les deuxièmes samedis de mars) en dîner de cons. Le monde de Lalu est une fantasmagorie bigarrée, farfelue, poétique, sensible et souvent insaisissable.

 

Si Vincent Lalu donne à lire, à sourire, il donne aussi à voir et à rêver. Illustrer un livre de pêche est toujours une bonne idée. L'imagination peut ainsi divaguer plus aisément. Les aquarelles de Marie-Annick Dutreil accompagnent les histoires pour nous dire, « tout ceci est vrai, regardez, voilà les poissons dont on parle » ! Posées comme des études darwiniennes dans des histoires d'hommes et de poissons, elles dessinent une réalité pour la fiction qui reste à lire. La truite est là entre nos mains, pêchée par le livre, nous la tenons aussi fermement que si elle sortait de la rivière et pourtant il faut bien tourner la page, la relâcher et passer à la suivante. L'aquarelle, peinture à l'eau, rend bien cet aspect humide, glissant et mouillé, les pigments dilués font apparaître non pas des poissons musculeux, bardés d'écailles vernissées mais des spectres parés de couleurs délavées et tremblantes, apprêtés pour le rêve. 

On aurait aimé voir les lieux, les rivières, les cascades et des pêcheurs en action. Vincent Lalu cite d'ailleurs Courbet peintre de la Loue pour qui le paysage seul suffit au contemplateur. Je pense alors à l'aquarelliste américain Homer Winslow qui a peint, au tout début du siècle dernier, de nombreuses scènes relatives à la pêche de la truite. De la nature morte dans Two trout, aux truites d'eau vive dans Leaping trout ou Jumping trout, à de magnifiques paysages de rivières et de rapides dans lesquels le pêcheur à la mouche apparaît seul dans une nature grandiose et sauvage comme au premier jour (Fishing in Adirondacks, Fishing the rapids Saguenay, Casting in the falls).

Mais retournons à la Femme truite une dernière fois. On trouve tout au long du livre, une sensibilité tendre, amoureuse même, inquiète aussi mais toute entière dédiée au monde des eaux et de la pêche. Elle commence avec la femme faite truite dont l'auteur nous décrit les alcôves de sable blanc, de tuf aux tournures baroques, qui se continue avec Courbet peintre de la Loue « rivière précieuse et insaisissable » et La Naissance du monde (encore une Irlandaise d'ailleurs !). Avec Monica enfin qui donna son nom à la plus fameuse rivière à saumon de la péninsule de Kola. John D. Voelker dans Le Testament du pêcheur à la mouche, écrivait « la pêche à la mouche est une activité si plaisante qu'elle mériterait qu'on la pratique au lit ». Vincent Lalu le sait, le lit est l'unique endroit des rêves et de l'amour, il fallait donc transformer les femmes en truites pour confondre les deux extrêmes de la passion. Mais combien faut-il de cœur au pêcheur pour qu'il puisse se vouer à tous ces mondes ? Combien lui faut-il d'âme pour assouvir ses passions ? Pour combien de temps encore? Vincent Lalu ne nous donne pas de réponse, c'est un poète, et il nous laisse le droit de rêver.

 

La Femme truite est un livre qui mérite une belle place dans votre bibliothèque. Mieux encore, plus près de vous, sur la table de chevet. Il sera une belle introduction à votre nuit...

Liste des livres commentés: 

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.  

Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.  

Henri Bosco, L'enfant et la rivière.  

Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.  

John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  

John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche

 

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