Philippe Nicolas, La mouche et le Tao,




Philippe Nicolas, La mouche et le Tao, Métaphore diffusion, 2010.

 

Pêche à la mouche, zen ou tao ?

La mouche et le tao de Philippe Nicolas intrigue le lecteur pêcheur. On peut penser qu'il s'agit là d'une réponse à cette question posée maintes fois : pourquoi va-t-on à la pêche ?

 

La réponse est souvent évacuée, trop complexe peut-être, pas le temps non plus, surtout lorsqu'on rassemble son matériel pour retrouver un ami au bord de l'eau et que l'on est déjà en retard, car à la pêche, chacun de nous le sait, on n'est jamais en avance !

 

Sur cette vaste question Philippe Nicolas s'attarde et flâne, et donne au lecteur un recueil de pensées, d'aphorismes emprunts d'une certaine philosophie dont le titre nous dit qu'elle serait taoïste. Donner un sens à une activité aussi totale que la pêche, et en particulier de la pêche à la mouche, est un pari risqué. A suivre Philippe Nicolas dans son cheminement, on se souvient, et souvent avec plaisir, de son Enchantement de la rivière, on prend maintenant le risque de traverser cette même rivière en sautant de pierre en pierre. Jamais sûr de bien partir et encore moins sûr de bien retomber...

 

L'auteur ouvre ses pensées sur les références de Thoreau et de Whitman, auteurs américains qui furent les voix merveilleuses et romantiques du Nouveau monde tel qu'ils le découvrirent, intact comme lors de sa création. On passe de Into the wild en anglais dans le texte (pour évoquer le film de Sean Penn ?) au bouddhisme indien et l'on cherche vainement pourquoi le tao, philosophie chinoise née au IVe siècle avant J.-C. ? Philippe Nicolas avance à petites touches sa conception et dessine une voie toute personnelle pourrait-on dire, son propre tao, c'est-à-dire la fuite du monde, la frugalité, l'ascèse du geste fouetté, la rencontre illuminée par la touche, l'harmonie de l'homme par les eaux vives.

 

« Le tao de l'eau, l'eau ne le connaît pas, elle le réalise » Dôgen Zenji

Jacques Brosse, Polir la lune et labourer les nuages. Maître Dogen. Albin Michel, 1998.

 

C'est avec cette phrase que Dôgen, moine zen et poète japonais du XIIIe siècle (traduit par Jacques Brosse qui le lisait dans le texte), répondait en se moquant des taoïstes, ces « loustics », ces « canailles chauves » parce que selon lui, ils ne parvenaient pas à s'extirper de leurs conceptions superficielles du monde et s'éloignaient de l'enseignement des grands maîtres. Au XXe siècle dans le Traité de zen et de l'art de la pêche à la mouche, John Gierach pratiquait comme ascèse lui aussi la pêche des truites avec son guide ou son maître Ed Engle. Ce dernier est un poète qui passa une partie de sa vie dans les bois puis dans les eaux courantes et techniques de la South Plath river pour pêcher la truite avec de toutes petites mouches. Pour ascèse on peut penser qu'il y a pire. Mais, Gierach, avec un certain humour, nous emmène sur les traces de sa propre expérience, faisant du lecteur un disciple toujours désireux d'apprendre et surtout avide de tourner les pages.

 

Le zen de la pêche à la mouche se révèlerait lorsque le pêcheur serait totalement en harmonie avec son poisson, de telle sorte que sans aucune opération de l'intellect ou de l'expérience il sache exactement à quel moment il faille ferrer la truite. Prouesse merveilleuse obtenue après une longue initiation (que d'aucun appellerait une longue ascèse) ponctuée de doutes, de questionnements hasardeux et insolubles parce que inutiles à vrai dire. A la question du disciple « Mais comment sait-on qu'on a une touche ? » le maître répond « la vie est une longue tige de fève, n'est-ce pas ? », vacuité du savoir, épure du geste, concordance des sens dans la rivière conduisent à l'illumination, enfin ! Le poète américain Gary Snyder (ami de Jack Kerouac et de Jim Harrison) qui passa plusieurs années à étudier le zen au japon, traduit par des poèmes courts, à l'écriture drue et directe, cette émotion éblouissante :

 

Hors d'atteinte

assis sur un roc au soleil

observé le vieux pin

vague

sur le fin sable blanc de la rivière

éblouissant.

 

Musique de l'eau courante dans Premier chant du Chaman et autres poèmes.

 

Jacques Brosse, amoureux des forêts comme Ed Engle, décrivait également dans Itinéraire d'un naturaliste zen, cette même sensation ultime : « le rideau de la nuit se leva, dévoilant la splendeur du monde... laissant place à une lucidité sans égale, à une comblante félicité » (p. 157).


Alors la pêche à la mouche, zen ou tao ? Peu importe évidemment et à vrai dire chacun selon sa voie. Je pense alors à Jean Giono et à sa Durance (celle d'avant le barrage de Serre-Ponçon), dans Hortense ou l'eau vive , dès la première page, l'auteur fait parler l'un de ses personnages : « A la longue, cette rivière fut sa rivière car elle était sa route ».

 

Et donc, à chacun selon sa rivière !

Chamane 51

Liste des livres commentés: 

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche 

Jim Harrison, Un bon jour pour mourir  

Vincent Lalu, La femme truite, Le coup du soir et autres histoires de pêche.  

Ernest Hemingway, La grande rivière au cœur double.  

Henri Bosco, L'enfant et la rivière.  

Philippe Nicolas. L'enchantement de la rivière.  

John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  

John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Bill François, La truite et le perroquet

John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme

Serge Sautreau, Le rêve de la pêche