John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche.

 John Gierach, Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche, Editions Gallmeister, 2009

 Qui y a-t-il de zen dans l'art de la pêche ? Parcourir les berges des rivières, fabriquer des mouches, les envoyer voler au-dessus de l'eau ? ou bien ferrer des poissons, batailler avec eux ? Un peu de tout cela certainement, mais pas seulement. John Gierach y ajoute l'amitié, celle qu'il prodigue à ses amis et celle qu'il noue avec ses lecteurs. Et, c'est bien l'intérêt qu'il y a à lire Gierach. Il vous prend par le bras pour vous montrer comment les gestes, les habitudes, peuvent prendre avec lui une tournure poétique et contemplative. Mieux, il vous place dans le récit et vous êtes à ses côtés, les waders dans la rivière en train de pêcher. Il vous prête une canne en bambou refendu couleur herbe sèche avec un porte moulinet en noyer cendré (l'auteur est un sentimental) et même sa boîte à mouche, et bien sûr, vous prenez la plus belle, une Adams aux ailes gris chinchilla par exemple. Il ne vous en voudra pas, d'ailleurs, il ne vous regarde même pas par-dessous ses lunettes, en fait, il avait, sans le dire, préparé tout cela pour vous. C'est certainement cela le « rester zen » de Gierach. Une propension à l'amitié et une initiation à l'oubli de soi dans l'art de la pêche : « Ça y est vous y êtes. Levez la tête vers le ciel, plissez les yeux, humez l'air, écoutez l'eau ». Plus qu'une méditation, une illumination ouverte par cette belle formule propitiatoire qui nous plonge en deçà de l'onde et dans ses courants.

 

"...ma plus belle truite du jour; je ne savais pas comment je l'avais prise

et cela m'était bien égal"

John Gierach

 

Les truites, (mais aussi les brochets « qui méritent le respect ») facétieuses, toujours belles et bagarreuses méritent toute notre attention. Elles sont « l'organe fonctionnel du courant », la devinette à attraper, le signe à interpréter. Mais, en lisant Gierach, on se doute à la fin que la vision que l'on a de ces poissons est souvent moins bonne que celle qu'ils ont de nous. C'est en ce sens que la pêche s'apparente souvent à un art divinatoire qui revient à détecter la touche d'un poisson invisible sur une mouche visible. La truite, si prompte, si fugace dans sa démonstration, peut, le temps d'une surprise, disparaître, se volatiliser « elles ne s'enfuient pas en courant comme les cerfs, ou en volant comme les grouses : elles cessent juste d'être là ». C'est de la magie peut-être, mais il y a la touche dans toutes ses nuances subtiles ou violentes, ce petit espace dans le temps pendant lequel tout s'est arrêté. Le seul signe tangible, sensible, qui ramène à la réalité, à l'interprétation et à l'intelligible et qui ô miracle confirme avec réconfort toute la science déployée du pêcheur qui, il faut bien l'avouer, en a souvent besoin...

 

"La pêche est une chose qu'il ne faut jamais prendre au sérieux "

John Gierach

 

Gierach nous prévient fort heureusement et pose cet avertissement : « La pêche est une chose qu'il ne faut jamais prendre au sérieux ». Il faut, en effet, en mesurer les risques, addiction, collectionnite onéreuse, syndrome d'anachorète. L'auteur est passé grand maître Zen, car il sait éclairer ses disciples et sauver leur état mental. Il faut savoir rire de soi-même à la pêche ! Avez-vous vu, par exemple, comment le pêcheur semble s'élever dans la hiérarchie au fur et à mesure qu'il maîtrise les eaux ? Chaussé de bottes mais encore sur la rive, puis de waders et déjà dans l'eau avec les poissons, puis sur l'eau avec un float tube (quelques pages cocasses sur une histoire d'amour avec « un boudin ») sorte de bouée gonflable qui permet tout juste de pêcher, puis enfin la barque (on évitera le bass boat ostentatoire et frimeur) qui donne enfin sa liberté au pêcheur. Remarquez aussi que sa fortune va croissant, tout comme les dépenses aussi, de telle sorte que votre fournisseur préféré voit parfois en vous un portefeuille sur pattes. Avez-vous vu aussi son accoutrement que Gierach résume avec ironie : « Certains d'entre eux étaient vraiment impressionnants, évoquant tout à la fois le magasin de pêche, le laboratoire de biologie et la salle de réanimation des urgences. » Et sa voiture, une ambulance abandonnée, une camionnette de quincailler, un bric-à-brac de matériel qui pourra peut-être servir quand on en aura peut-être besoin ! Gierach comme D. Voelker chantent là un hymne, très américain, à l'automobile du pêcheur. Quand on va sur l'eau, il faut bien aller sur la terre avant et aux États-Unis, les distances à parcourir méritent un peu de considération. Reste les airs. Certes Gierach prend l'avion pour ses parties de pêche, pratique courante dans ce pays. Je me souviens aussi d'un film de Barry Reynolds (In poursuit of the water wolf) qui prenait l'hydravion pour pêcher esox à la mouche. Moins courant, les truites, elles, prennent l'hélicoptère pour être déversées dans les lacs de montagne.

On s'étonnera après ce court séjour dans le ciel qu'elles mordent sur des leurres faits de plumes...

 

 

" La mort peut réduire spéctaculairement ton temps de pêche, tu sais !"

John Gierach

 

Gierach pense la pêche et nous l'avons suivi avec bonheur. Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche est un voyage dans le monde de la pêche, initiatique pour qui le voudra, et l'auteur est notre guide amical. Les éditions Gallmeister ont fait un choix judicieux. Trout bum — titre original parfaitement intraduisible en français désignant un surnom affectueux donné aux Etats-Unis aux pêcheurs à la truite, avec une connotation de vie bohémienne et d'underground plus moderne — a été publié aux États-Unis et a connu un beau succès. Il mériterait bien quelques belles photographies ou beaux dessins. Gierach est aussi un auteur prolifique que nous n'avons pas fini de lire, du moins faut-il l'espérer. Dans Sex, Death, and Fly-Fishing, qui mériterait une traduction, l'auteur se fait plus précis, plus naturaliste et même entomologiste. Capable de décrire le premier et dernier orgasme d'une mouche de mai échouée et dérivant, les ailes mollement déployées sur la surface d'un courant, il nous entraine dans le Wyoming. Voyage dans le temps géologique d'une nature vivante, voyage intérieur dans l'âme du pêcheur qui probablement n'a que peu changé depuis le néolithique. Dans ce livre, Gierach raconte l'histoire d'un vieux pêcheur arrivant au bord d'une rivière dans une confortable limousine. Il descend pêcher près d'un pont et après un lancer parfait touche une truite magnifique et batailleuse. Le combat est long et indécis. Le vieux pêcheur maltraité par la force du courant semble vaciller aux abords des piles du pont. Son guide qui suivait distraitement la scène intervient et propose de prendre la situation en main ! Le vieil homme lui répond un brin agacé de garder ses satanées mains loin de sa truite.

 

Pour Gierach, il y a le sexe, il y a la mort et il y a la pêche et chacun d'entre nous a ses propres priorités.

 

Qu'il nous soit donné de le lire !

 

Liste des livres commentés:  

Paul Torday, Partie de pêche au Yémen.  

John D. Voelker, Testament d'un pêcheur à la mouche

Chamane51 le 11/10/09

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